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Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/262

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78 CINNA

Remettez â leurs bras les communs intérêts, 95

Et n'aidez leurs desseins que par des vœux secrets.

.EMILIE.

Quoi! je le haïrai sans tâcher de lui nuiie?

J'attendrai du hasard qu'il ose le détruire,

Et je satisferai des devoirs si pressants

Par une haine obscure et des vœux impuissants? 100

Sa perte, que je veux, me deviendrait amère,

Si quelqu'un l'immolait à d'autres qu'à mon père ;

Et tu verrais mes pleurs couler pour son trépas.

Qui, le faisant périr, ne me vengerait pas.

C'est une lâcheté que de remettre à d'autres 105

Les intérêts publics qui s'attachent aux nôtres. Joignons à la douceur de venger nos parents La gloire qu'on remporte à punir les tyrans, Et faisons publier par toute l'Italie :

« La liberté de Rome est l'œuvre d'^Emilie; HO

On a touché son âme, et son cœur s'est épris; Mais elle n'a donné son amour qu'à ce prix. »

98. Détruire, en parlaat des personnes :

Je les connais, madame, et j'ai m cet embrase

Détruire Antiochus et renverser Carthage. {Nicomède, iSH.)

104. Ce sentiment atrore et ces beaux vers ont été imités, dit Voltaire, par Racine dans Andromaque (IV, 4) :

Ma venfteance est perdue. S'il ignore en mourant que c'est moi qui le tue.

En «'associant à l'admiration de Voltaire, on peut remarquer pourtant que les fureurs d'Emilie nous étonnent plus que celles d'Hermione. La fiancée outraçéc de Pyrrhus n'a pas couvé vingt ans son ressentiment ; il a soudainement jailli de la blessure encore vive et fraîche. Celui d'Emilie a quelque chose de plus voulu, et aussi, nous ne le dissimulons pas, de plus froid.

105. Remettre, abandonner, confier, comme plus haut, au v. 95.

106. On dirait plutôt maintenant : qui sont attachés, étroitement unie aux nôtres.

108. A, suivi de l'infinitif, peut se traduire en prose par en, avec le participe présent, comme au v. 317.

A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. {Cid, 434.)

A raconter ses maux, souvent on les soulage. {Polycucte, 161.)

110. 11 y a bien de l'orgueil et un peu de faste dans cet étalage d'une haine qui doit donner tant de gloire à Emilie. Elle est résolue à faire ce qu'elle croit être son devoir : mais il faut qu'on sache qu'elle le fait. Par ce souci de l'opi- nion du dehors, elle est inférieure à Chimène et à Pauline, à qui suffit la satis- faction du devoir accompli. Il y a dans ce caractère quelque chose de théâtral qui rappelle les héroïnes de la FrouJc. Certes, la vertu hautaine d'Emilie s'of- fenserait d'une comparaison avec madame de Chevreusc ; et pourtant quand Fulvie ose lui dire que son amour est « un présent funeste » à celui qui l'aime, on se rappelle malgré soi le portrait de madame de Chevreuse, dans les Mé- moires de La Rochefoucauld : « Elle a presque toujours porté malheur aux pep- tonnes qu'elle a engagées dans ses desseins, a

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