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14 POLYEUCTE

la plus simple prudence commandait donc de s'en abstenir. Mais la prudence n'est pas toujours écoutée en un temps de lutte et de crise. Comment désavouer ceux qui, poussés par une témérité généreuse, avaient versé leur sang de si bon cœur pour le Dieu méconnu ? On était donc conduit à faire fléchir les principes, à établir tout au moins des exceptions et à dire ce que dira plus tard un pieux érudit , à propos de Nicéphore et des martyrs de Palestine : « L'Eglise, qui con- damne ce zèle dans d'autres comme une présomption, l'a regardé en eux comme un effet de la grâce du Saint-Esprit, puisqu'elle les honore comme des martyrs'...» Polyeucte a bénéficié de cette exception qu'imposait la force des choses. 11 est probable que les beaux-esprits de l'hôtel de Ram- bouillet furent plus surpris encore que blessés d'une pareille lecture. De 1402 à 1548, en effet, les confrères de la Passion avaient en toute liberté fait représenter des mystères, dont le fond, semé d'ailleurs d'épisodes profanes, était emprunté à l'Ancien et au Nouveau Testament. Mais l'arrêt du Parlement qui leur interdit les sujets sacrés fonda, pour ainsi dire, le théâtre moderne, et, en 1637, l'auteur d'un Traité sur la dispo- sition du poème dramatique pouvait écrire : « L'amour et la guerre fournissent seuls aux auteurs tous les sujets profanes du théâtre. Je dis profanes, pour ce qu'on y peut mettre d'autres sujets tirés des livres saints; mais tels arguments sont plus propres en particulier qu'en public, et dans les collèges de l'Université, ou dans les maisons privées, qu'à la cour et à l'hôtel de Bourgogne. » C'est en effet dans les collèges et sous la forme latine qu'avaient été représentés en 16301e Sanctus Adrianus mariyr, du P. Cellot, et en 1633 le Proco- pius martyr, du P. Berthelot. La première, dont Rotrou devait se souvenir dans Saint Genest, introduisait dans la prison d'Adrien sa femme Nathalie, qui le suivait au supplice ; la seconde, tragédie sacrée avec stances et chœurs, jouée au collège de Clermont, n'est pas sans analogie avec Polyeucte : dans le premier acte, Procope embrasse la foi chrétienne ; dans le second, il renverse les idoles; dans le troisième, il résiste à tous les efforts qu'on tente pour l'ébranler ; dans le quatrième, il convertit par son exemple sa mère Théodosie; dans le cinquième enfin, il est martyrisé. f Nous ne citerons guère que pour mémoire le Martyre de saint Sébastien, de d'Aigaliers (1396); le Saint Cloud, de Jean Heudon, tragédie avec chœurs (lfi99); l'Amour divin, tragi- comédie sur la Rédemption, de Jean Gauche (1601), la Ceci-

1. Tilleraonf, Mémoires ecefétiastigues, t. IV, p. 17,

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