Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/392

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Et nous ne recevons ni crainte ni désir
De cette liberté qui n’a rien à choisir,
Attachés sans relâche à cet ordre sublime,
Vertueux sans mérite et vicieux sans crime…
D’un tel aveuglement daignez me dispenser.
Le ciel, juste à punir, juste à récompenser,
Pour rendre aux actions leur peine ou leur salaire,
Doit nous offrir son aide, et puis nous laisser faire*.

Il était difficile de se déclarer avec plus de force contre le fatalisme janséniste, et cette seule citation dément d’avance l’affirmation trop absolue de Sainte-Beuve. C’est assurément le passage le plus curieux de cette tragédie d’Œdipe qui fut si estimée au xvn^ siècle et que Fénelon a si justement critiquée. Mais pourquoi Fénelon n’a-t-il pas opposé Polyeucle à Oedipe. dans ce chapitre où il regrette le caractère profane de la tragédie 2? L’amour de Sévère et de Pauline suffisait-il à lui faire oublier tant de scènes si vraiment chrétiennes? Plus juste, Boileau jugcnil Polijcucle lu chef-d’œuvre de Coinoillo’; il est vrai qu’il ne s’en souvenait pas dans son Art poetique-’, pas plus que Racine ne s’en souvenait dans ce discouri académique où il louait si bien d’autres œuvres de son devancier.

On remarque même, non sans surprise, qu’à la fin du xvii" siècle les représentations de Polyeucte sont fort rares. Sans doute, la mode des tragédies sacrées s’était transformée; aux pièces chrétiennes avaient succédé les pièces juives, les Hérode, les Joseph, les Absalon, les Jonathas ; mais jugeait-on Pob/eiicle indigne de figurer au nombre de ces spectacles édifiants que Daiigeau appelait des « comédies de dévotion » ? On serait tenté de le croire quand on lit ces lignes curieuses d’un mémoire adressé au roi par Mme de Maintenon, en 1688, sur les moyens de convertir les protestants : « Il faudrait surtout interdire les spectacles qui donnent une idée de martyre, rien n’étant plus dangereux pour les nouveaux catholiques et pour les anciens*. » Polyeucle devenu suspect aux yeux des dévots ! l’histoire littéraire nous réserve quelques-unes de ces surprises. Et pourtant les comédiens, qui, eux aussi, s’étaient faits dévots, à l’exemple du roi, n’avaient rien trouvé de mieux, pour sanctifier le premier et le dernier jour de l’année théâtrale, que de jouer régulièrement

1. Œdipe, III, 5.

2. Lettre à l'Académie, projet d’un traité sur la tragédie.

3. Montchesnai, Bolaeana.

  • . Ce mémoire a été publié par Languet de Gergy, évêque de Sens, prédécsseur de Buffon à l’Académie.