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bruit sourd de l'orage qui se déchaîne daris l'âme du martyr, plus homme encore qu"il ne le croit? Dans la façon même dont il apostrophe les « délicieuses » voluptés du monde qu'il veut quitter, ne devine-t-on pas comme un re^cret involon- taire? 11 ne leur en voudrait pas tant si elles n'avaient plus de charme pour lui. Ce chant de combat s'achève, il est vrai, en chant de victoire, la tempête des passions humaines s'a- paise, la grcàce est la plus forte. Polyeucte le dit du moins, et toute la première partie de la scène qui suit le prouve. Armé contre Pauline, il n'a point de peine à repousser ses argu- ments. Mais voici que Pauline, désespérant de le convaincre, essaye de le toucher; voici qu'après la raison elle fait parler le sentiment. Que devient alors la force invulnérable de Polyeucte? Il se tait, il soupire, il verse des larmes, il a besoin de faire effort pour se ressaisir lui-même, il laisse échapper cet aveu, où il apparaît tout entier, avec sa tendresse et sa foi :
Je vous aime Beaucoup moins que mon Dieu, mais bien plus que moi-même*.
Ainsi, le combat n'était pas terminé avec l'effusion lyrique des stances, comme le croyait Polyeucte ; il recommence plus âpre, et le martyr, facilement vainqueur d'abord, est bien près ensuite d'être vaincu; il remporte pourtant la victoire, une victoire définitive, cette fois, mais obtenue à quel prix!
C'est alors seulement que se place la scène où il offre Pauline à Sévère. « Chrétien et martyr, allant au ciel et ne regrettant pas la terre, Polyeucte cède sa femme sans lâcheté et sans ridicule, car il cède ce qu'il a, puisque dans Pauline l'honneur a vaincu l'amour, puisqu'elle a résisté à sa passion pour appartenir tout entière au devoir, c'est-à-dire à son mari... L'enthousiasme chrétien l'élève même" au-dessus de la jalousie. Non qu'il efface en son âme la tendresse qu'il a pour sa femme : par un reste d'affection humaine que j'aime à retrouver dans le martyr, il veut le bonheur de Pauline 2. » Avouons-le pourtant : 'malgré tout, le sens humain proteste; quelque chose se révolte en nous, ou plutôt je ne sais quelle pudeur intime est froissée, quand Polyeucte traite avec cette brutale indifférence une femme si délicate, elle, jusqu'au bout et si touchante. Peut-être l'expression même de cette indiffé- rence est-elle forcée à dessein; peut-être, au fond, Polyeucte est-il moins sûr de lui qu'il ne veut le paialtre. Parfois il se
��1. Acte IV, se. 3.
a. Saint-Marc Girardin, Cow$ de liitërature dramatiju«.
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