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Stratonice le dit assez. Combien pius elle va l'admirer, c'est-à-dire l'aimer, quand elle va le voir reparaître vivant, victorieux, couvert de gloire, quand elle saura pleinement réalisé « le généreux espoir » qu'elle avait conçu de cette grande âme ! De là ses hésitations quand Félix lui impose cette entrevue où sa vertu est sûre de vaincre, mais au prix de quels déchirements ! De là ce trouble intérieur qu'elle ne dissimule même pas à Sévèj'e. Mais de là aussi la fermeté de sa résolution, car, plus le péril est grand, plus elle tient à l'envisager en face, à faire régner en souveraine sa raison sur ses passions, à garder intacte sa « gloire », à guérir du ma] qu'elle l'ait paraître au grand jour pour le mieux con- naître et en mieux triompher.

Le troisième et le quatrième acte font la transition du premier au cinquième et expliquent la révolution qui s'opère dans l'àme de Pauline. On n'a pas assez remarqué le mono- logue qui ouvre le troisième acte. Pourtant, rimportance des monologues est grande chez Corneille ; ils donnent souvent la clef de bien des caractères : les personnages s'y livrent sur leurs propres sentiments à une sorte d'analyse psychologique. Or, quel état d'esprit nous révèle ce monologue? Pauline tremble que l'entrevue des deux rivaux ne dégénère en que- relle ; mais à qui songe-t-elle surtout? elle va nous le dire :

Que sert à mon époux d'être dans Mélitène, Si contre lui Sévère arme l'aigle romaine. Si mon père y commande, et craint ce favori, Et se repent déjà du choix de mon mari' ?j

Et quand ce père, si bien jugé par elle, semble en efi'et se repentir du choix qu'il a fait, quand Polyeucte est déjà coupable, Pauline, qui a su avec tant de dignité contenir le flot des injures de Stratonice, Pauline, qui ne se berce pas d'illusions et sait que Polyeucte est chrétien « parce qu'il Ta voulu », laissera échapper ce cri :

Je l'ai de votre main, mon amour est sans crime... Ne m'ôtez pas vos dons, ils sont chers à mes yeux, Et m'ont assez coûté pour m'être précieux 2.

Est-ce le devoir seul qui lui arrache des plaintes si tou- chantes? L'image aimable de Sévère ne s'efface-t-elle pas déjà devant l'image de Polyeucte prisonnier ? Ne commence- t-eile pas à sentir tout le prix qu'elle attache à cette exis-

1. Acte III, se. 1, s. Acte III, se. 4.

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