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Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/413

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INTRODUCTION W

conTersions nnraculeuses. Ma^s, le même Schlegel n'a-t-il pas plus raison d'écrire: «La catastrophe est amenée dans Po/yewcie par un moyen mauvais à tous égards : ce Félix, dont la basse lâcheté fait tourner contre Polyeucte tous les efforts de son rival pour le sauver, gâte toute la beauté du tableau? » et, s'il en est ainsi, La Harpe et la plupart des critiques n'ont-ils pas raison aussi de penser qu'un tel homme est indigne de la grâce? Ce n'était point l'avis de Corneille : il admettait volon- tiers que toute tendresse semblait étouffée dans le cœur de Félix par le soin de conserver sa dignité ' ; mais il n'allait point au delà, et croyait naïvement que le coup de théâtre final suffisait à tout réparer : « Si Félix fait périr son gendre Polyeucte, ce n'est pas par cette haine enragée contre les chrétiens qui nous le rendrait exécrable, mais seulement par une lâche timidité qui n'ose le sauver en présence de Sévère dont il craint la haine et la vengeance après les mépris qu'il en a faits durant son peu de fortune. On prend bien quelque aversion pourlui, ondésapprouve sa manière d'agir; mais cette aversion ne l'emporte pas sur la pitié qu'on a de Polyeucte eî, n'empêche pas que sa conversion miraculeuse à la fin de la pièce ne le réconcilie pleinement avec l'auditeur^. » Pleine- ment, c'est trop dire. Sans doute, au point de vue religieux, la conversion de Félix se justifie, puisque l'essence même de la grâce est d'être foudroyante, et qu'elle n'a pas besoin, d'ail- leurs, pour être obtenue, d'être méritée. Mais, au point de vue dramatique, la satisfaction de l'auditeur, quoi qu'en dise Corneille, n'est point sans mélange, et l'on ne voit point sans surprise l'âme de Félix mêlée à cette grappe d'âmes ^ que Polyeucte en mourant emporte vers le ciel.

Pourtant il ne faudrait pas le faire plus méchant qu'il ne l'est. C'est une âme médiocre, plutôt que criminelle. Il est égoïste jusqu'à la férocité, mais d'un égoïsme ingénu qui s'étale aux yeux de tous. Il descend aux pensées les plus basses, mais il en rougit en les confessant. Même il a parfois certains élans de tendresse paternelle, ou de bonhomie paterne, comme on voudra, qui le relèvent un peu à nos yeux. Certainement, il aime sa fille, et il fait son malheur; il aime son gendre et il l'envoie à la mort. Ce qui le perd, c'est qu'il croit connaître à fond toutes les personnes qui l'entourent, et qu'il les con- naît mal. Ce préfet de seconde classe a la prétention d'êtm un diplomate de premier ordre. Il connaît si bien la cour ei

��i. Examen de Clitandre. S. Discours de la tragédie. t, L* mot est de M Legoiiv6.

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