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Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/415

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INTRODUCTION 51

marâtres doucereuses, à ses femmes dominatrices près des A.rgan et des Clirysale. C'est pour conserver une ombre de pouvoir royal que Prusias craint tant de se brouiller avec la république et si peu d'être ingrat envers son fils. C'est pour ne pas compromettre sa situation de gouverneur d'Antioche que Valens prend pour devise : « Laissons faire * » et mérite l'apostrophe de son fils mourant :

Rends-en grâces au ciel, heureux père et mari : Par là t'est conservé ce pouvoir si chéri 2.

C'est aussi pour ménager sa fortune que Félix sacrifie sa famille à l'empereur. Mais il paraîtra presque fier à côté de ce Valens qui, bravé en face par sa femme, ne sait que s'in- cliner, se taire et obéir, sauf à se plaindre d'elle et de lui- même quand il est seul avec son confident Paulin :

L'impérieuse humeur! vois comme elle me brave,

Comme son fier orgueil m'ose traiter d'esclave.

— Seigneur, j'en suis confus, mais vous le méritez*.

Albin, le confident de Félix, ne se croirait pas le droit de parler ainsi. Et pourtant, Albin, figure beaucoup plus vivante et personnelle que Fabian, le confident de Sévère, est un hon- nête homme dont le calme bon sens et la modération clé- mente contrastent avec l'esprit inquiet, soupçonneux, l'humeur imobile et facilement irritable de son maître, comme, en sens 'contraire, le fanatisme emporté de Slratonice contraste avec la tolérante douceur de Pauline. Albin serait le bon génie de Félix, si Félix était assez modeste pour écouter un conseil.

Ce mélange de la vérité héroïque et de la vérité familière qui marque la plupart des pièces de Corneille a choqué cer- tains critiques, à qui la dignité tragique apparaît un peu raide et guindée. M. Nisard y voit un vice du théâtre espagnol imité de trop près par Corneille. Nous n'entrerons point dans ce débat, qui serait oiseux ici. Le caractère de Félix est-il vrai? c'est la seule question qui se pose. Un critique nulle- ment révolutionnaire, Geoffroy, le croyait et le disait, il y a près d'un siècle ; pourquoi serait-on plus timide que Geoffroy? De ce qu'un caractère est vrai il ne résulte pas, sans doute, qu'il soit dramatique, car toute réalité ne l'est pas : c'est affaire au poète de choisir entre les réalités banales, indignes d'occuper notre attention, et celles qui méritent de la fixer,

1. Théodore, V, 7. S. Ibid., V, 9. 3. Ibid. II. 7.

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