Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/445

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Soudain à son secours j’ai réclamé mon père;
Hélas ! c’est de tout point ce qui me désespère.
J’ai vu mon père même, un poignard à la main,
Entrer le bras levé pour lui percer le sein: 240
Là, ma douleur trop forte a brouillé ces images;
Le sang de Polyeucte a satisfait leurs rages.
Je ne sais ni comment ni quand ils l’ont tué,
Mais je sais qu’à sa mort tous ont contribué :
Voilà quel est mon songe.

STRATONICE.

Il est vrai qu’il est triste ; 245
Mais il faut que votre âme à ces frayeurs résiste :
La vision, de soi, peut faire quelque horreur,
Mais non pas vous donner une juste terreur.
Pouvez-vous craindre un mort, pouvez-vous craindre un père
Qui chérit votre époux, que votre époux révère, 250
Et dont le juste choix vous a donnée à lui
Pour s’en faire en ces lieux un ferme et sûr appui ?

PAULINE.

Il m’en a dit autant, et rit de mes alarmes ;
Mais je crains des chrétiens les complots et les charmes,

241. A brouille, a confondu. M. Littré cite de nombreux exemples, empruntés à Corneille et à Bossuet même, de brouiller pris dans cette acception que Voltaire juge peu digne de la tragédie.

242. « Rages ne se dit plus au pluriel, Je ne sais pourquoi, car il faisait ua très bel effet dans Mallierbe et dans Corneille. » (Voltaire.)

Songez donc mieux qu’an père îi ces aftreux ravages

Que partout de ce monstre épandironl les rages. (Andromède. 719.)

243. « Plusieurs personnes ont entendu dire au marquis de Saint-Aulaire, mort à l’âge de cent ans, que l’hôtel de Rambouillet avait condamné ce songe de Pauline. On disait que, dans une pièce chrétienne, ce songe est envoyé par Dieu même, et que, dans ce cas , Dieu qui a en vue la rouvcrsion de Pauline, doit faire servir ce songe à cette même conversion ; mais qu’au contraire il scmljle uniquement fait pour inspirer à Pauline de la haine contre les chrétiens; qu’elle voit des chrétiens qui assassinent son mari, et qu’elle devait voir tout le contraire. » (Voltaire.) « L’Hôtel de Rambouillet avait évideninient tort. Ce n’est pas Dieu, c’est au contraire le diable qui, dans l’intention de l’auteur, envoie ce songe à Pauline pour lui faire haïr les chrétiens. C’est ce que Corneille fait dire expressément à Néarque dans la première scène de ce premier acte, où il est question du même songe. » (Palissot.) En se plaçant au point de vue religieux, on peut admettre, en effet, que Dieu laisse agir momentanément le démon, mais Dour tourner ensuite ce songe à l’avantage de Pauline, car il larapproche de son mari, au moment où Sévère va paraître.

245. « Le songe de Pauline est à la vérité un peu hors-d’œuvre, la pièce peut s’en passer; mais s’il n’a pas l’extrême mérite de celui d’Athalie , qui fait le nœud de la pièce, il a celui Je Camille : il créiiare. » (Voltaire.)

247. /’€ sci, par soi-même.

Massinisse, de soi, pourrait fort peu de chose. [Sophonisbc, 1246.)

W4 Charme a ici et en beaucoup d’autres passages le sens étymologique