Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/67

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INTRODUCTION 6!

du mariage*. » Peut-être même exagère-t-on l'insignifiance de ce rôle, dont la conception, critiquée à tort par Schlegel, suffit à l'originalité de la tragédie et nous permet, comme on l'a remarqué souvent, d'observer le contre-coup des événe- ments publics sur une famille, confondant ainsi l'émotion qui naît des douleurs privées et celle qui naît des dangers do ^Etat.

Mais rapprochez cette honnête matrone du mari qui l'a élevée jusqu'à lui, sans doute parce que l'amour se plaît dans les contrastes. Assurément, elle est plus sensible que lui; mais est-ce que cette sensibilité débordante ne nous récon- cilie pas avec ce stoïcisme, si farouche qu'il soit? Elle semble plus intelligente, puisqu'elle voit le pour et le contre de tout, tandis que son mari ne voit et ne veut voir jamais qu'un côté des choses; mais est-ce qu'il n'y a pas des occasions où il £aut savoir fermer les jeux et se taire, pour marcher aveuglément au devoir? Sabine ne sait que pleurer, que s'épuiser en récri- minations stériles, que se proposer comme victime, sans qu'on accepte jamais cet impossible sacrifice.

Descendons un degré encore et mettons Valère en face de celui dont il se fait l'accusateur. Comme ce voisinage le fera paraître petit, malgré l'habileté de son réquisitoire! Ridicule, au quatrième acte, lorsqu'il vient annoncer la mort de Cu- riace, son rival, avec l'empressement d'un galant qui se fait de lète, dit Sainte-Beuve, parce qu'il y voit une chance nou- velle de succès pour sa passion méconnue; il se rend odieux, au cinquième acte, lorsqu'il veut perdre celui dont il aspirait à être le beau-frère. Mais pourquoi le poète veut-il nous le peindre si ridicule et si odieux? Parce que ce Romain, dans le péril de la patrie, voit autre chose que la patrie, parce que, au suprême intérêt de l'État, il associe le misérable intérêt de son amour. Ajoutons pourtant qu'il est ridicule, à un autre point de vue, parce qu'il doit l'êlre, parce que, selon le lan- gage usité du temps de Corneille, il est « l'amoureux », tandis que Curiace est « l'amant». Dans le théâtre cornélien, les « amants » sont naturellement héroïques, puisqu'on les ad-

��1. M. Tivier, Histoire de la littérature française. M. Tivier ajoute, avec quel- que exagération dans l'éloge : « Sabine tr iiive dans le sentiment de son devoir la solution de toutes les difficultés et la force nécessaire pour tous les sacrifices... Dévouée à sa nouvelle patrie co:r.mo à son époux, Sabine ne sait que le défendre quand il est accusé, le plaindre fiu.iiiJ il est coupable, et se jnter au-iievant de la mort qui le menace ; type admirable jiifqi'à la fin du sentiaiout qu'un grand critique (M. Guizot} a nommé « l'amour du devoir », et bien supérieur à celui de Camille, malgré l'éclat que prête à ce personnage la belle scène des impréc»- tioDs... »

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