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Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/71

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«a grâce n’aurait plus de lieu s’il demeurait innocent. Quoi qu’il en soit, voyons si cette action n"a pu causer la chute de ce poème’ que par là, et si elle n’a point d’autre irrégularité que de blesser les yeux.

Comme je n’ai point accoutumé de dissimuler mes défauts, j’en trouve ici deux ou trois assez considérables. Le premier est que cette action, qui devient la principale de la pièce, est mo- mentanée, et n’a point cette juste grandeur que lui demande Aristote, et qui consiste en un commencement, un milieu et une fin. Elle surprend tout d’un coup; et toute la préparation que j’y ai donnée par la peinture de la vertu farouche d’Horace, et par la défense qu’il fait à sa sœur de regretter qui que ce soit de lui ou de son amant qui meure au com- bat 2, n’est point suffisante pour faire attendre un emportement si extraordinaire, et servir de commencement à cette action.

Le second défaut est que cette mort fait une action double par le second péril où tombe Horace après être sorti du premier. L’unité de péril d’un héros dans la tragédie fait l’unité d’action ; et quand il en est garanti, la pièce est finie, si ce n’est que la sortie même de ce péril l’engage si nécessai- rement dans un autre, que la liaison et la continuité des deux n’en fassent qu’une action; ce qui n’arrive point ici, où Horace revient triomphant sans aucun besoin de tuer sa sœur, ni même de parler à elle ; et l’action serait suffisamment termi- née à sa victoire. Cette chute d’un péril en l’autre, sans néces- sité, fait ici un elïel d’autant plus mauvais que d’un péril public, où il y va de tout l’État, il tombe en un péril particu- lier, où il n’y va que de sa vie; et, pour dire encore plus, d’un péril illustre, où il ne peut succomber que glorieusement, en un péril infâme, dont il ne peut sortir sans tache. Ajoutez, pour troisième imperfection, que Camille, qui ne tient que le second rang dans les trois premiers actes, et y laisse le premier à Sabine, prend le premier en ces deux derniers, où cette Sabine n’est plus considérable, et qu’aiusi, s’il y a égalité dans les mœurs, il n’y en a point dans la dignité des personnages, où se doit étendre ce précepte d’Horace :

Servelur ad imum Qualis ab incepto processerit, et sibi conslet >.

1. Le mot de « chute » est au moins exagéré ; voyez l’Introduction. Il est curieux et, sans doute, unique, qu’une exagération de ce genre puisse être reprochée à l’auteur même de la pièce.

2. Voyez Horace, acte III, se. t

3. Art poétique, v. 126-127.