Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/70

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EXAMEN D’HORACE


C’est une croyance assez générale que cette pièce pourrait passer pour la plus belle des miennes, si les derniers actes répondaient aux premiers. Tous veulent que la mort de Camille en gâte la fin, et j’en demeure d’accord; mais je ne sais si tous en savent la raison. On l’attribue communément ;\ ce qu’on voit cette mort sur la scène; ce qui serait plutôt la faute de l’actrice que la mienne, parce que, quand elle voit son frère mettre l’épée à la main, la frayeur, si naturelle au sexe, lui doit faire prendre la fuite, et recevoir le coup derrière le théâtre, comme je le marque dans celle impression. D’ailleurs, si c’est une règle de ne le point ensanglanter, elle n’est pas du temps d’Aristote, qui nous apprend que pour émouvoir puissamment il faut de grands déplaisirs, des blessures et des morts en spectacle. Horace ne veut pas que nous y hasardions les événements trop dénaturés, comme de Médée qui tue ses enfants’ ; mais je ne vois pas qu’il en fasse une règle générale pour toutes sortes de morts, ni que l’emportement d’un homme passionné pour sa patrie contre une sœur qui la maudit en sa présence avec des imprécations hor- ribles, soit de même nature que la cruauté de celle mère. Sénèque l’expose aux yeux du peuple, en dépit d’Horace; et, chez Sophocle, Ajax ne se cache point aux spectateurs lors- qu’il se tue. L’adoucissement que j’apporte dans le second de ces discours ^ pour reclilier la mort de Clylemnestre ne peut être propre ici à celle de Camille. Quand elle s’enferrerait d’elle-même par désespoir en voyant son frère l’épée à la main, ce frère ne laisserait pas d’être criminel de l’avoir lirée contre elle, puisqu’il n’y a point de troisiè:ne personne sur le théâtre à qui il pût adrfsser le coup qu’elle recevrait, comme peut faire Oreste à Egisthe. D’ailleurs, l’histoire est trop connue pour retrancher le péril qu’il court d’une mort infâme après l’avoir tuée; et la défense que lui prête son père pour obtenir

1. Nec pocros coram popnio Medea trncidet. (Art poétique, 185.)

2. Dans le Discours sur la tragédie. Corneille voudrait qu’Oreste tuât volontairement Egisthe, et involontairement sa mère Clytemnestre, qui se serait jetée entre Egisthe et lui.