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ACTE I, SCÈNE î m

Lom de trembler pour elle, il lui faut applaiidif ; Puisqu'elle va combattre, elle va s'agrandir. Bannissez, bannissez une frayeur si vaine, Et concevez des vœux dignes d'une Romaine.

SABINE.

Je suis Romaine, hélas! puisqu'Horace est Romain; 25

J'en ai reçu le titre en recevant sa main;

Mais ce nœud me tiendrait en esclave enchaînée,

S'il m'empêchait de voir en quels lieux je suis née.

Albe, où j'ai commencé de respirer le jour,

Albe, mon cher pays, et mon premier amour, 30

Lorsqu'entre nous et toi je vois la guerre ouverte,

Je crains notre victoire autant que notre perte.

Rome, si tu te plains que c'est là te trahir,

Fais-toi des ennemis que je puisse haïr.

Quand je vois, de tes murs, leur armée et la nôtre, 35

Mes trois frères dans l'une et mon mari dans l'autre,

Puis-je former des vœux, et, sans impiété,

Importuner le ciel pour la félicité?

Je sais que ton État* encore en sa naissance,

��21. M lui faut applaudir, pour «7 faut lui applaudir, tournure très usitée a«  «rn* siècle. Applaudir à, latinisme :

Seignear, n'ètes-vons point d'une hamenr bien facile B'applaudir d Cotys sur son manque de foi'2 [Agésilas, 669.)

25. Dans les premières éditions, Corneille avait écrit, sans prévoir quelles ■auvaises plaisanteries pourraient rendre ridicule son premier vers :

Je suis Romaine, hélas! puisque mon époux l'est;

L'hymen me fait de Rome enibrasser l'intérêt :

Mais il tiendrait mon âme en eselave enchaînée

S'il m'ôtait le penser des lieux où je suis née. (16il-16*6.)

" n est superflu de faire observer ù quel point la correction est heureuse.

29. On dit plutôt aujourd'hui coinmencer à que commencer de, et déjà Vaujrelas condamnait cette seconde tournure ; mnis l'Académie l'autorise. — Respirer le jour, pour respirer l'air de la vie, voir la lumière. Les Latins, eui aussi, confon- daient volontiers l'air et la lumière duj ur ; Racine a plusieurs fois employé c«  latinisme :

Qnoi ! vons. à qui Néron doit le jour qu'il respire. (Britannîeus, I, I.) Je reçus et je vois le jour que je respire. Uphiaénie, II, i.)

30. « Voyez comme ces vers sont supérieurs a ceux du commencement : c'est ici un sentiment vrai ; il n'y a point là de lieux communs, point de vaines sentencesj rien de recherché, ni dans les idées ni dans les expressions. Albe, mon cher pays, est la nature seule qui parle : cette comparaison de Corneille avec lui-même for- mera mieux le soût que toutes les dissertations et les poétiques. » (Voltaire.)

34. « Ce vers'admirable est resté en provcbe. » (Voltaire.) A l'époque de la ré^ vocation de l'édit de Nantes, Godeau, évèque de Grasse, l'ancien nain de Julie à l'hôtel de Rambouillet, pressait vivement un nouveau converti de quitter un» huguenote qu'il aimait; celui-ci lui répondit par ces vers.

36. « On le voit, observe M. Marty-Laveaux, Corneille n'est pas de l'avii iM critiques qui excluent le mot mari du st;le de la haute poésie.

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