Aller au contenu

Page:Corneille Théâtre Hémon tome2.djvu/88

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

f2 HORACE

Si j'ai vu Rome lieureuse avec quelque regret,

Soudain j'ai condamné ce mouvement secret,

Et si j'ai ressenti, dans ses destins contraires, 75

Quelque maligne joie en faveur de mes frères.

Soudain, pour l'étouffer, rappelant ma raison,

J'ai pleuré quand la gloire entrait dans leur maison.

Mais aujourd'hui qu'il faut que l'une ou l'autre tombe,

Qu'Albe devienne esclave ou que Rome succombe, 80

Et qu'après la bataille il ne demeure plus

Ni d'obstacle aux vainqueurs ni d'espoir aux vaincus,

J'aurais pour mon pays une cruelle haine,

Si je pouvais encore être toute Romaine,

Et si je demandais votre triomphe aux dieux, 85

Au prix de tant de sang qui m'est si précieux.

Je m'attache un peu moins aux intérêts d'un homme.

Je ne suis point pour Albe, et ne suis plus pour Rome;

Je crains pour l'une et l'autre en ce dernier effort,

Et serai du parti qu'affligera le sort. 90

Égale à tous les deux jusques à la victoire.

Je prendrai part aux maux, sans en prendre à la gloire,

Et je garde, au milieu de tant d'âpres rigueurs.

Mes larmes aux vaincus et ma haine aux vainqueurs.

��Ti. Quelque maligne joie en son cœur s'élevait,

Dont sa gloire indignée à peine le sauvait. [Pompée, III, 1.)

Voltaire, qui cite ces vers, les juge plus naturels que ceux d'Horace , e{ demande ' « La joie des succès de sa patrie et d'un frère peut-elle être appelée mali'ine ? » Non, répond M. Géruzez, si Sabine n'était que sœur et Albaine ; oui, puisqu'elle est épouse et Romaine; car, selon la très juste remarque de M. Marty- Laveauï, elle se reproche cette joie comme contraire à ses devoirs.

86. « Ce n'est pas ce tant qui est précieux ; c'est le sang : c'est au prix d'un gang qui m'est si précieux. Le tant est inutile et corrompt un peu la pureté de la pnrass et la beauté du vers. C'est une très petite faute. » (Voltaire.)

90. Affliger a ici le sens très énergique du latin affligore, ad fligere, frapper, abattre, précipiter à terre ; ce sens s'est beaucoup affaibli depuis.

91 . Égale à n'est pas français en ce sens : l'auteur veut dire juste envers tous les doux; car Sabine doit être juste, et non pas indifférente. » (Voltaire.) C'est le contraire qui est vrai ; il s'ag;it ici d'indifférence, de neutralité entre les deux partis ; le sens de justice ne dérive que par extension du sens d'impartia- lité. Comparez le vers 1565. Corneille dit aussi : Voir d'un œil égal (Polyeucte, III r Nicoméde.ll, i), expression aui équivaut à celle des Latins : œquo anima, csquis oculis.

Rendez donc la princesse égale entre nous deux. {Nicomide, 1022.)

93. Var. Et garde, en attendant ces funestes rigneurs. (1CB6.)

Apre, rude, violent, comme au vers 504 A' Horace et au vers 82 de Polyeucte : « Les plus âpres tourments. »

94. A, dans le sens très fréquent de pour. V.iltaire remarque que l'expression ■emble exagérée ; car elle ne doit pas h;iïr son mari, ses frères, s'ils sont vJ4î< torUu*, «t l'on attend plutôt ■ sass haïr les vainqueurs.

�� �