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ACTE I, SCÈNE I 73

JULIE.

Qu'on voit naître souvent de pareilles traverses, 95

En des esprits divers, des passions diverses!

Et qu'à nos yeux Camille agit bien autrement!

Son frère est votre époux, le votre est son amant;

Mais elle voit d'un œil bien différent du vôli'e

Son sang dans une armée et son amour dans l'autre. 100

Lorsque vous conserviez un esprit tout romain,

Le sien irrésolu, le sien tout incertain

De la moindre mêlée appréhendait l'orage,

De tous les deux partis détestait l'avantage,

Au malheur des vaincus donnait toujours ses pleurs, 105

Et nourrissait ainsi d'éternelles douleurs.

Mais hier, quand elle sut qu'on avait pris journée.

Et qu'enfln la bataille allait être donnée.

Une soudaine joie, éclatant sur son front...

SABINE.

Ah, que je crains, Julie, un changement si prompt 1 110

Hier, dans sa belle humeur, elle entretint Valère :

Pour ce rival, sans doute, elle quitte mon frère;

Son esprit, ébranlé par les objets présents,

Ne trouve point d'absent aimable après deux ans.

95. Traverses n'est pas impropre comme le croit Voltaire ; chez tous les écri- vains du xvn« siècle, une traverse, 'c'est une difficulté, un chagrin, un obstacle qui traverse une destinée ou une entreprise, c'est-à-dire en rend plus malaisé l'heureux accomplissement. Le sens, qui n'est nullement embarrassé, est : des mêmes malheurs naissent souvent, quand les esprits sont différents, des senti- ments opposés. Julie va le prouver en opposant les sentiments de Camille à ceux de Sabine. Comparez le vers 1203.

100. Sang, très usité pour famille, race, parent ; voyez les v. 1326 et 1634.

Viens, mon fils, viens, mon sang, viens réparer ma honte. {Cid, 266.)

102. Var. — Le sien, irrésolu, tremblotant, incertain. (1611-1650.)

104. De tous les deux partis, comme, au vers 396, de tous les deux cotés, pour; des deux partis, des deux côtés. — Détester, sens propre du latin detestari, mau- dire, comme au vers 790.

105. Donner, dans le sens de accorder ; voyez le vers 1705 :

Le déplorable état où je vous abandonne

Est bien digne des pleurs que mon amour vous donne. (Polyeucte, 12W.)

107. Corneille fait toujours hier d'une seule syllabe ; voyez le vers 111. — « On Brend jour, et on ne prend point journée, parce que jour signifie temps et que journée signifie bataille. r> (Voltaire.) Mais quelquefois journée s'employait pour jour dans des locutions analogues ; M. Littré en cite plusieurs exemples anciens; un exemple plus mcderne est celui de RàCine :

Dn carnage avec lui je réglai la journée. (Either ; n, î)

m. Belle humeur a été employé plus d'une fois par Corneille dans la tragâ- dle, bien que Voltaire renvoie cette locution au style comique :

Qae cette belle humeur .soit véritable ou feinte. l^A^ésilas, 1600.J

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