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142 POMPEE

Permettez cependant qu'à ces douces amorces

Je prenne un nouveau cœur et de nouvelles forces,

Pour faire dire encore aux peuples pleins d"eflroi 1335

Que venir, voir, et vaincre, est même chose en moi.

CLÉOPATRE.

C'est trop, c'est trop, Seigneur, souffrez que j'en abuse : Votre amour fait ma faute, il fera mon excuse.

Vous me rendez le sceptre, et peut-être le jour; Mais si j'ose abuser de cet excès d'amour, (1340

Je vous conjure encor. par ses plus puissants charmes. Par ce juste bonheur qui suit toujours vos armes, Par tout ce que j'espère et que vous attendez, De n'ensanglanter pas ce que vous me rendez. Faites grâce, Seigneur, ou souffrez que j'en fasse, 1345

Et montre à tous par là que j'ai repris ma place. Achillas et Photin sont gens à dédaigner; Ils sont assez punis en me voyant régner, Et leur crime...

1333. Une amorce, c'est un appât, au propre et au figuré ; au xvii' siècle, on disait aîno?'c« de tout ce qui peut amorcer, attirer, séduire; voyez les v. 924 d'Horace et 16S1 de Cinna. Boileau lui-même a dit :

Craignez d'un vain phiisir les trompeuses amorces. [Art poétique, i.)

1336. Venir, voir et vaincre; Corneille s'est évidemment ressouvenu ici du fameux Veni, vidi vici, que César, d'ailleurs, n'écrivit que plus tard après la défaite du fils de Mithridate, Pharnace : « Pour donner à entendre la soudaineté de ceste victoire, l'csorivant à Rome à l'un de ses amis, Amintius, il lui manda ces trois paroles seulement, vENr. vidi, vici, c'est-à-dire : Je vins, je vi, je vain- qui. Mais ces paroles, pour avoir presque une semblable cadence en langage romain, ont une grâce de brièveté plus plaisante à l'ouye qu'elle ne se peut rencontrer en autre langue. » (Plutarque, Vie de César. 50, trad. d'Amyot). Mais Voltaire observe avec raison que par cette brève formule César entendait seulement faire entendre le peu de peine qu'il avait eu à triompher d'un ennemi presque sans défense, et qu'on prête ici un orgueil déplacé à César, le plus modeste des grands kommes. du moins en apparence. — En moi, chez moi, pour moi.

1345. Var, Faites grâce, seigneur, on souffrez que j'en donne,

Et fasse voir par là que j'entre à la couronne. (1644-1656.)

Remarquez cette construction analogue à celle que nous avons déjà signalée au V. 540. En se rapporte à un nom indéterminé, car faire grâce est une locu- tion dont les termes sont inséparables. Voici pourtant deux exemples, en prose et en vers, de locutions non moins hardies :

Seieneor, si j'ai raison, qu importe à qui je sois?

Perâ-e//e de son pri.t pour emprunter ma voix? {Nicomède, 190.)

« Elle leur défend encore plus impérieusement que les, lois civiles de se faire justice à eux-mêmes et c'est par son e.«j.rit que les rois chrétiens ne se la font pas dans les crimes même de lèse-majesté au premier chef. » {Pascal, Provin- ciales, XIV.)

1347. Sont gens à dédaigner, qui méritent le dédain; cette tournure repa- raîtra bientôt au v. 1440.

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