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Page:Corneille Théâtre Hémon tome3.djvu/202

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16 LE MENTEUR

C'est rexplicalioii entre don Louis et son fiJs don Juan, dont il flétrit les vices*. Rien de plus instructif que d'observer de quelle façon différente Corneille et Molière développent le même thème:

DON LOUIS.

« Je vois bien que je vous embarrasse. Mais, à dire vrai, si vous êtes las de me voir, je suis bien las aussi de vos dépor- tements. Hélas ' que nous savons peu ce que nous faisons quand nous ne laissons pas au Ciel le soin des choses qu'il nous faut, quand nous voulons être plus avisés que lui, et que nous venons l'importuner par nos souhaits aveugles et nos demandes inconsidérées. J'ai souhaité un fils avec des ardeurs non pareilles, Je l'ai demandé sans relâche avec des trans- ports incroyables; et ce fils, que J'obtiens en fatiguant le' Ciel de vœux, est le chagrin et le supplice de cette vie même dont je croyais qu'il devait être la Joie et la consolation. De quel œil, à votre avis, pensez-vous que je puisse voir cet amas d'actions indignes dont on a peine aux yeux du monde d'adoucir le mauvais visage, cette suite continuelle de méchantes affaires qui nous réduisent à toute heure à lasser les bontés du souverain, et qui ont épuisé auprès de lui le mérite de mes services et le crédit de mes amis ? Ah ! quelle bassesse est la vôtre ! Ne rougissez-vous point de mériter si peu votre naissance? Etes-vous en droit, dites-moi, d'en tirer quelque vanité, et qu'avez-vous fait dans le monde pour être gentilhomme ? Croyez-vous qu'il suffise d'en porter le nom et les armes, et que ce nous soit une gloire d'être sorti d'un sang noble, lorsque nous vivons en infâmes ? Non, non, la naissance n'est rien où la vertu n'est pas. Aussi nous n'avons part à la gloire de nos ancêtres qu'autant que nous nous efforçons de 'leur ressembler," et cet éclat de leurs actions, qu'ils répandent sur nous, nous impose un engagement Je leur faire le même honneur, de suivre les pas qu'ils nous tracent, et de ne point dégénérer de leur vertu, si nous vou- lons être estimés leurs véritables descendants. Ainsi, vous descendez en vain des aieux dont vous êtes né, ils vous désa- vouent pour leur sang, et tout ce qu'ils ont fait d'illustre ne vous donne aucun avantage ; au contraire, l'éclat n'en rejail- lit sur vous qu'à votre déshonneur, et leur gloire est un flam- beau qui éclaire aux yeux d'un chacun la honte de vos actions. Apprenez enfin qu'un gentilhomme qui vit mal est un monstre dans la nature, que la vertu est le premier titre de noblesse, qoe je regarde bien moins au nom qu'on signe qu'aux actions

i. Le Festin de Pierre,, acte IV, se. vi.

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