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qu'elle n'a point fourni au poète son meiUeur effet dramatique. Des spectateurs grecs, épris de la seule simplicité, ou même dis critiques allemands, amoureux de la logique à outrance, pour- ront juger le récit d'Appien, sinon plus vrai — car la vérité dra- matique vaut bien la vérité historique — du moins plus vrai- semblable. Tout semble s'y enchaîner selon l'inexorable loi de la fatalité antique; mais enfiti, comme le dit Angélique, dans te Malade imaginaire,\QS anciens sont les anciens, et nous sommes les modernes. Or, au point de vue du théâtre moderne, la don- née historique avait un grave défaut : c'est d'être monotone dans sa simplicité, c'est-à-dire dans son horreur. Lessing re- proche à Corneille d'avoir violé le précepte d'Aristote qui pre- scrit d'inspirer la terreur et la pitié au moyen d'un seul et même héros, et de s'être servi, pour produire ces sentiments diffé- rents, de différents personnages. On se demande en vain comment Cléopàtre pourrait inspirer de la pitié; mais l'art du poète a été précisément de corriger la terreur qu'elle inspire parla pitié qui s'attache à Rodogune au début, à Séleucus et à Antiochus à la fin. Chez Appien, Cléopàtre est au moins aussi odieuse, sans nuance, sans contradiction, sans remords, puis qu'après s'être débarrassée de son mari, elle tue — d'un coup de flèche — l'un de ses fils, et se prépare à empoisonner l'autre. D'autre part, Antiochus n'a plus aucun droit à notre sympathie ; réservé jusqu'au dénouement pour le rôle de héros vengeur, il force sa mère à boire le poison cfii'elle-mème lui a versé. Oreste, frappant sa mère Glytemnestre, n'est pas plus impi- toyable. Rien ne serait plus saisissant peut-être; mais rien aussi ne serait moins dramatique; car rien ne serait moins humain. Antiochus nous étonne moins qu'Oresie; mais il nous plaît davantage, malgré ses faiblesses : nous le sentons plus nôtre. Trop souvent lafaialité nous cache le personnage qu'elle pousse en avant; rendu à lui-même, il pourra se tromper et chanceler; mais il sera lui-même.
Pour se soustraire à cette action aveugle de la fatalité, pour varier par une impression douce l'impression terrible qu'elle nous laisserait, pour se conformer d'ailleurs au goût de son époque. Corneille a introduit dans son drame un élément nouveau, qui l'a entièrement renouvelé. Supposez l'amour absent du Cid et d' Horace, deCinna et de Polyeucte, toul dispa- raît du même coup : Rodrigue et Chimène ne s'exaltent plus l'un l'autre dans l'héroïque émulation du devoir et du sacrifice; il n'y a plus qu'un vulgaire procès criminel, dont l'issue noua
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