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INTRODUCTION. 47

jouée, que j'avais eu de fort bonnes choses, mais qiieje ne devais pas penser à jouer les rôles tendres, après AP Gaussiii. Étonnée d'un jugement si peu réfléchi, craignant l'impression qu'il pouvait faire sur tous ceux qui l'écoutaient, et maîtrisée par un mouvement de colère, je fus à lui et lui dis : « Hodogune un rôle tendre, monsieur? Une Parthe, une furie qui demande à ses amants la tête de leur mère et de leur reine, un rôle tendre ? Voilà certes un beau jugement !.... » Effrayée moi-même de ma démarche, les larmes me gagnèrent, et je m'enfuis au milieu des applaudissements. Toutes les études que j'ai faites depuis, m'ont fait tenir à mes premières idées. Voltaire les a forliBées dans son Commentaire sur Corneille, et le public, aussi coiitent de ma Herté qu'il l'était de la volupté de M'^' Gaussin, m'a per- mis de croire que je n'avais pas perdu ma peine. »

M" Clairon aura mal lu les Remarques de Voltaire sur Rodogune; elles ne justifient pas plus son opinion que l'op'nion contraire. La vérité, c'est que Voltaire se borne à mettre Rodo- gune en contradiction avec elle-même. Jamais elle ne le sa- tisfait, ni lorsqu'elle est douce^ ni lorsqu'elle est passionnée : sa douceur n'est qu'hypocrisie, puisque bientôt elle se montrera si féroce; sa férocité n'est pas naturelle, puisqu'elle dément sa douceur. Il faut pourtant qu'elle ait un caractère. Qui donc a raison, de M'^*^ Clairon ou de M"* Gaussin, de Voltaire ou de Duclos ? Personne peut-être, et peut-être aussi tout le monde.

Tout en raillant ce qu'il appelle « une partie carrée d'assas- sinat », Geoffroy indique très bien comment Voltaire et La Harpe ont pu se méprendre sur le vrai caractère de Hodogune, elle n'est, selon lui^ ni si ingénue ni si timide. « Ce qui les trompe, c'est qu'altière et impérieuse elle rougii et s'indigne d'un amour involontaire qu'elle n'ose s'avouer; ils ont pris cette fierté pour l'embarras d'un coeur naïf, et ne savent comment accorder avec cette innocence la proposition qu'elle fait aux princes*. * Pourtant Geoffroy, qui reproche aux autres critiques leur erreur, pourrait bien, lui aussi, se tromper sur un point, ou tout au moins exagérer une appréciation juste au fond. Sans doute, Rodogune n'a rien d'une bergère de roman; c'est une reine qui sait haïr et se venger, c'est une Parthe, capable de lutter de ruse avec Cléopâtre, et de blesser en fuyant. Mais il faut convenir que Corneille prête parfois à cette ingénue tragique le langage de la galanterie contempoiaino, ses fadas madrîganr.

1. ùmr$ de lilleralurt Uramaliqu*, 1.

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