INTRODUCTION 3T
l'âme de toute l'action ; partout il est dignement représenté par sa veuve ; tout se rapporte à Pompée ; partout c'est Pom- pée honoré, Pompée vengé par son rival ; s'il était vivant et présent, on ne le verrait pas mieux ^.. La Mort de Pompée est une tragédie faite avec un iiéros qui ne paraît pas et dont la mémoive remplit la pièce. Partout nous entendons parler de Pompée; son ombre plane sur la scène, mais nous ne le voyons point. Au premier acte, nous entendons délibérer suï sa mort ; au cinquième acte, nous voyons son urne entre lei mains de Cornélie. Voilà la seule apparition du héros. Pompée, dans toute la tragédie, est invisible et présent; l'action et l'intérêt de la pièce viennent de lui, tout mort qu'il est. So- phocle a fait de la sépulture d'Ajax l'mtérêt des dernières scènes de sa tragédie d'Ajax. Corneille a fait toute la tragédie de la Mort de Pompée avec le nom et le souvenir de son hé- ros, et ce n'est pas une des moindres preuves de la variété infinie de son génie ^. »
Nous savons bien que ces appréciations unanimes semblent avoir été démenties d'avance par Corneille lui-même, et qu'il a découvert, après réflexion, une autre source d'intérêt pour son drame, c'est la rivalité de Ptolomée et de Cléopâtre, dé- nouée par la défaite et la mort de Ptolomée : « Ptolomée craint que César, qui vient en Egypte, ne favorise sa sœur dont il est amoureux, et ne le force à lui rendre sa part du royaume, que son père lui a laissée par testament ; pour atti- rer la faveur de son côté par un grand service, il lui immole Pompée; ce n'est pas assez, il faut voir comment César rece- vra ce grand sacrifice. 11 arrive, il s'en fâche, il menace Pto- lomée, il le veut obliger d'immoler les conseillers de cet at- tentat à cet illustre mort ; ce roi, surpris de cette réception si peu attendue, se résout à prévenir César et conspire contre lui, pour éviter par sa perte le malheur dont il est menacé. Ce n'est pas encore assez ; il faut savoir ce qui réussira de cette conspiration. César en a l'avis, et Ptolomée, périssant dans un comliat avec ses ministres, laisse Cléopâtre en pai- sible possession dii royaume dont elle demandait la moitié, et César hors de péril ; l'auditeur n'a plus rien à demander, et sort satisfait, parce que l'action est complète*. »
Non, l'auditeur ne sortirait point satisfait si on ne lui avait montré que ce petit côté d'un grand drame. C'est pour ré- pondre d'avance au reproche possible de la duplicité d'action
��1. GeolTroy, Cours de littérature dramatique.
2. Saint-Marc Girardin, Cours dp littrralure dramatique, IV, '
3. Discours du poème dramatique (tbCO).
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