Page:Corneille Théâtre Hémon tome3.djvu/58

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

42 POMPÉE

chaste et grave, qui, dans une situation si délicate, dans un milieu si iiiditjne d"elle, passe, respectée de tous, à travers les crimes et les bassesses, qu'une crise soudaine exalte et élève an-dessus de son sexe en faisant d'elle un chef de parti, mais qui naguère se contentait d'être une femme honnête, aimante et modeste :

Et pudov, et probitas castique modestia vultus *.

Elle raisonne et déclame trop, qui le nie ? mais qui pour- rait s'assurer de garder, en de telles circonstances, la pleine possession de soi-même ? Les plus charmantes héroïnes de Corneille, Chimène et Pauline, sont aussi des raisonneuses; mais quand les voit-on plaider, raffmer, ergoter même ? pré- cisément quand elles ont peur de paraître faibles et de se trahir, quand elles sont contraintes de garder une attitude et de jouer un rôle. Cornéiie n'a-t-elle donc pas un rôle à jouer, une altitude a soutenir ? Elle est sincère assurément, et n'a pas besoin de s"échauti"er à froid pour être émue et émou- vante. Dès le début, elle est résolue à faire son devoir tout entier ; mais ne pas faillir à ce devoir est chose moins facile quelle se l'iHait figuré. Elle s'attend à rencontrer un vain- queur implacable éternel; elle rencontre une grande âme; la sienne en est surprise et troublée. Les menaces se fussent émoussécs contre son stoïcisme, les supplices l'eussent trouvée prête, mais elle n'était point préparée à la générosité. Quel etl'ort elle doit faire sur elle-même pour ne point se laisser désarmer ! Elle s'exalle d'autant plus qu'elle sent sa convic- tion décroître, elle s'étourdit de grands mots ; mais au fond de son âme germe et se développe lentement un sentiment d'admiration et d'estime qu'elle essaye en vain d'en arracher. A la surface, elle demeure froidement impassible; mais « le dedans n'est que trouble ^ », pour parler comme Corneille. Ln grand combat se livre en elle, d'où elle sort victorieuse; mais alors même qu'elle jette à César son dernier défi avec son dernier adieu, elle ne peut s'empêcher d'estimer celui qu elle voudrait seulement haïr. Voilà par où elle reste hu- maine.

Si le troisième acte est la rencontre de deux grandes âmes qui se reconnaissent et se rapprochent, sans pourtant s'unir; si des lors il s'établit entre elles une sorte d'émulation de générosité; si César seul pouvait en agir ainsi avec Cornéiie el

1. Lucain, Pharsalc, VIII, v, 158.

2. Polijeucte, 11,

�� �