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INTRODUCTION 43

Cornélie seule parler ainsi à César, la tragédie de Corneille ne compte pas moins de trois héros : Pompée, César et Cor- nélie. C'est déjà trop que l'admiration du spectateur et du lecteur puisse hésiter entre eux, et passer tour à tour, indécise, de l'un à l'autre. Il y a là un défaut de composition, ou plu- tôt de perspective, qu'il faut reconnaître : l'unité d'intérêt n'est pas entière là où le héros central ne se détache pas net- tement sur le fond mouvant des personnages secondaires. On peut concevoir deux amants ou deux époux héroïques, Rodri- gue et Chimène, Polyeucte et Pauline, parce qu'ils ne divisent pas l'attention, parce que nous les confondons dans la même sympathie et qu'ils grandissent parallèlement; on peut conce- voir même deux personnages également héroïques, bien que de façon diverse, comme les Horaces, pourvu que leur héroïsme soit la double manifestation d'une même idée consi- dérée sous un double aspect. C'est ainsi que Pompée, absent ou mort, mais toujours présent à notre pensée, ne fait qu'un avec Cornélie, vivante et agissante. Mais le caractère de César est précisément destiné à leur faire antithèse, et l'antithèse n'existe plus si César et Cornélie sont au même niveau.

Remarquons d'abord que cette multiplicité de héros n'ef- frayait point Corneille : près de Rodrigue il a placé don Diè- guè; près d'Horace, Curiace; près d'Auguste, Emilie; près de Polyeucte, Sévère ; près de Cléopâtre, Rodogune; près de Ser- torius, Pompée et Viriale. Il lur semblait que l'admiration ne saurait être trop largement répandue. D'autre part, il compre- nait que ce noble sentiment de l'admiration, pour n'être pas froid, a besoin de n'être pas égal et paisible; le seul moyen de le rendre dramatique, c'est de l'accroître sans cesse par une progression continue, et de nous contraindre à nous éle- ver toujours plus haut en nous peignant les personnages tou- jours supérieurs à eux-mêmes. Or ce crescendo dans l'admi- ration n'est pas possible sans une rivalité qui mette aux pri- ses deux âmes au-dessus du commun. Qui rivalisera avec Cornélie ? ce ne sera point Pompée, dont la grande ombre seule domine les derniers actes; ce sera donc César. Logi- quement, et si l'on restait dans le domaine des idées abstraites, César, personnification de la tyrannie victorieuse, devrait être aussi odieux que Cornélie est sublime; mais Corneille est un poète di'amatique, et ses personnages ne sont pas de pures entités ; il n'a pas à combiner des antithèses, mais à faire vivre des caractères. Porté, d'ailleurs, par sa conception du drame, à idéaliser ses personnages, il a fait pour César ce qu'il avait déjà fait pour Auguste. Les espi'ils y étaient préparés : car le César qu'ils se représentaient était plutôt le César de la

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