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INTRODUCTION 133

Pourquoi s'esl-il appliqué à mettre uniquement en lumière sa complaisance pusillanime? C'est que l'antithèse se faisait plus frappante entre ce monarque dégradé et le fils généreux qui saura être roi; c'est qu'en l'un nous voyons revivre non seulement Prusias II le Chasseur ', mais tous les Attale, les Ariarathe, les Ptolémée, comme en l'autre les Annibal et les Mithridate.

Le drami' élant ainsi conçu, Corneille était conduit à nio- diller les données essentielles du récit historique : car on peut affirmer sans paradoxe que son drame, où toute une époqui; est condensée, est plus éminemment historique que l'histoire même. Rien de moins siguilicatif que citte histoire, si l'on y regarde de près. Tout s'y réduit à une querelle de famille, à un conflit d'intéréls vulgaires, et la question se pose en ces ter- mes : Lequel, du père et du lîls, sera vainqueur, c'est-à-dire lequel tuera l'autre? Une telle rivalité, sans doute, peut aboutir à des résultats sanglants ; mais que nous apprendra- t-elle? Nous n'y verrons qu'une de ces tragédies intimes et banales qui se sont jouées tant de fois dans les cours d'Orient -. Posée par Corneille, la question est plus haute: Nicoméde sera-t-il livré aux Romains? Mais, dès qu'elle se pose ainsi, tout change : odieux suitout chez les hisloiiens, Prusias doit être surtout ridicule chez Corneille. Si, en etfet, il trame de sang-froid le meurtre de son fils, s'il est tout ensemble assez déliai uré poui' ne pas reculer devant un tel crime et assez puissant pour l'accomplir, nous ne sommes plus attentifs qu'au péril pressant de Nicomède ; et, en admettant même que M- comède y échappe, nous sentons trop que tout rapprochement est désormais impossible entre le père et le fils , qu'il y a là en face l'un de l'autre deux ennemis implacables et que l'un des deux doit disparaître. Ou la pièce aboutit à une impasse, ou elle se dénoue par un parricide, car la fuite même de Prusias ne satisferait pas le spectateur avide de le voir puni. Si au contraire Prusias n'est ni assez scélérat pour vouloir, ni assez fort pour pouvoir être un assassin, d'une part toute porte n'est pas fermée à la réconciliation finale, plus ou moins sincère, et l'on sourit des lâchetés du prince sans avoir horreur des forfaits du péiv ; de l'autre la terreur n'est ja- mais assez vive pour faire perdre de vue le sujet véritable, ([ui est l'antagonisme tout politique de Nicomède et de Fla- minius.

��1. II régna de 192 à 148 avant J.-C.

"i. Un roman allemand rérent s'intitule : Pnisias, roman de la république romaine^ par Ernest von Eckstein.

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