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136 NICOMEDE

pas oublié à quel péril l'a exposé le séjour d'Annibal à sa cour; si l'on parvient à le convaincre qu'Annibal revit en Nicomède, il sacrifiera son fils comme il a sacrifié son hôte, et le triomphe de Flaminius sera plus complet encore que celui de la république.

On a souvent mal jugé ce personnage, parce qu'on n'a pas distingué l'homme de l'ambassadeur. La distinction n'est point factice; elle est naturelle et nécessaire, puisque fintérèt per- sonnel a sa place à côté de l'intérêt général. De là une apparente contradiction dans un caractère dont funité pourtant est ad- mirable. Il ne conserve pas toujours l'impassible sérénité d'un arbitre ; parfois il prend l'otfensive et porte les coups, lui qui devrait se contenter de les juger. Ses préférences et ses ran- cunes éclatent au grand jour. A Nicomède il rend ironie pour ironie, orgueil pour orgueil. Ce n'est point seulement ici f an- tithèse de deux politiques ; c'est la rivalité de deux volontés superbes qui s'entre-choquent. A Laodice, qu'il ne désespère pas de fléchir, il parle le langage d'un conseiller et d'un ami, mais d'un ami qui mêlerait à ses conseils quelques menaces discrètes. S'il ne réussit pas à persuader Laodice, c'est que Laodice est bien résolue d'avance à n'écouter que >"icomède. Unis contre lui, les deux amants l'accablent de leur mépris railleur. Il en témoigne quelque impatience, maladroite peut- être, mais bien humaine. C'est rhorame qu'on attaque, et c'est l'homme qui répond. On doit convenir que le poète fait ici la partie belle à is'icomède, et, pour le grandir, syslénia- liquemcnf, rabaisse uii peu son adversaire. Mais Flaminius, en tant qu'homme, a ses petitesses; il n'est grand qu'en tant que Rome, dont il est l'envoyé, lui communique sa grandeur.

Compromise dans ces intrigues obscures, la dignité de Fla- minius n'en sort pas toujours intacte, mais il la ressaisit tout entière dès que la république romaine parle par sa bouche. On s'étonnait de la médiocrité des moyens ; on ne peut qu'ad- mirer la largeur des vues. Cette poli4ique égoïste est froide- ment logique, impitoyable de parti pris. Tantôt, dans sa marche insidieuse, elle tourne l'obstacle qu'elle ne peut fran- chir et frappe l'ennemi par demère ; tantôt elle se présente le front haut et s'impose, appuyée sur la force des choses, sur la certitude d'un avenir inéluctable : alors surtout Flami- nius est éloquent sans chercher à l'être, par la seule cons- cience des hautes destinées réservées à son pays, par l'amour exclusif de la patrie romaine et le mépris profond de tout ce qui n'est pas elle : « contra hostem œterna injuria » • ; tantôt enlîn

1. Voyez Desjardins, Le grand Corneille historien.

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