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INTRODUCTION 149

neille accusent son Niconiède de forcer quelquefois l'ironie et de dépasser la mesure. Le neveu même du poèlc, Foiite- iielle, disait de ce personnage : « S'il ne faisait quelquefois un peu trop le jeune homme, ce serait le plus beau caraclèie qui fût sur la scène. » Avec beaucoup de raison, Geolfroy ré- plique : « Il me semble que sans ce défaut il ne serait pas aussi brillant el aussi théâtral. Mcoméde déplairait moins téméraire, moins audacieux, moins confiant en ses piopres forces. Gardons-nous donc de souhaiter un INicoméde plus raisonnable, plus modeste et plus prudent... Le caracléi'e de ISicomède est une des conceptions théâtrales les plus ex- traordinaires', n Et pourtant Geotfroy voit à merveille l'ob- jection inévitable : « On pourrait reprocher à Corneille que "la vertu de son Nicoméde est fausse , que c'est de l'oif^ueilet de la témérité plutôt que de la vertu, que son héros est fan- faron et insolent, et que braver la puissance romaine sans moyens de lui résister, c'est de l'étourderie, de l'emportement de jeune homme, et non pas de la grandeur d'âme. » La cri- tique qu'indique Geotfroy, M. Guizot se l'approprie : « Dans la situation de Nicomede, la nécessité de braver et d'insulter tout ce qui l'entoure n'est pas assez évidente pour que cette perpétuelle bravade ne paraisse pas quelquefois hors de pro- pos -. » Et c'est le même M. Guizot qui écrit: « Nicomede nous fait supporter Prusias, et la jactance même de ce carac- lèie singuliei' se perd dans le sentiment de hauteur où nous a élevés son courage. » Ces quelques éclal,s de jactance cas- tillane (car l'Espagnol Rodrigue et le Bithynien Nicomede sont assurément compatriotes) ne doivent point nous cho- quer : ils sont dans la logique du rôle. Impatient, assez hau- tain, Nicomede ne résiste pas au plaisir de braver ou de railler tout à son aise ceux qu'il hait ou qu'il méprise. Çà et là, il y met une insistance qui confine au mauvais goût, il manque de discrétion. Mais c'est précisément par là qu'il est drama- tique, c'est par là qu'il est vraiment Nicomede. L'ironie est son élément; il s'y meut avec aisance et y défie toutes les attaques. Supprimez ou tempérez cette ironie, la tlamme vive dont le drame est animé s'éteindra aussitôt. Mettez dans la bouche de Nicomede un langage toujours sérieux et réservé, vous serez surpris de voir combien l'intérêt de l'ac- tion même en soutfrira: le meilleur de cet intérêt n'est-il pas dans la témérité folle de la lutte que l'héroïque railleur en- gage contre tous, dans les provocations et les généreuses

1. Coitrs de littérature dramatique. 8. Corneille et ton temps.

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