Page:Corneille Théâtre Hémon tome4.djvu/162

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l-'O NICOMÈDE

imprudences qui accroissent sans cesse le danger, dans le plaisir très humain que nous prenons à voir l'esprit se jouer de la force?

Voyez-le en face d'Arsinoé : il sent en elle une ennemie implacable ; il croit avoir la preuve qu'elle a voulu attenter à sa vie. Au moment même où il s'indigne contre elle et s'apprête à la punir, elle paraît. Va-t-il s'emporter, et, comme dans tel mélodrame banal, lui cracher sa haine au visage? Nullement : à l'apparente courtoisie des paroles, on ne se douterait guère de la profondeur des inimitiés, si l'on n'en était instruit d'avance. C'est un assaut d'épigrammes perfides et charmantes, d'équivoques polies, de compliments qui menacent :

Je connais votre cœur; ne doutez pas du mien *.

On dirait aujourd'hui qu'il y a du gentleman en ce Bithynien. Fi de l'injure grossière! 11 est si facile d'être cruel avec une exquise politesse! Nicomède se donne et prolonge avec une sorte de volupté ce plaisir délicat. Mais, emporté par cette fièvre de bravade, il ne s"aperçoil pas, lui qui se joue des autres, qu'il est joué par eux. A mesure que son ironie se fait plus mordante, le sourire d'Arsinoé se dessine, comme une menace énigmatique. On sent qu'elle sera, qu'elle est déjà la plus forte. Mais elle aussi, par émulation sans doute, met une sorte de coquetlerie à ne pas s'abandonner aux sen- timents violents qui l'agitent. A la tin du troisième acte, elle croit tenir sa vengeance; accusé par elle près du roi, Nico- mède se sent menacé, perdu peut-être déjà. L'heure de la crise décisive approche : qui s'en douterait à les entendre? Si la haine est plus que jamais dans leurs cœurs, le souiire, plus que jamais aussi, est sur leurs lèvres. Un court et brillant en- gagement prélude à la grande bataille. Et lorscpie les deux adversaires sont aux prises devant Prusias, ils n'éclalenl point en accusations maladroites, en réci'iminalions d'un goût équi- voque. Lequel des deux alors joue le mieux son rôle? On ne sait vraiment : car, si Arsinoé a Prusias pour elle, iNicomède dé- concerte ses petites habiletés par sa franchise vaillante, plus habile encore, trop habile au gré d'Arsinoé, qui ose lui adresser ce plaisant reproche. Sur ce terrain, nouveau pour lui, Nico- mède se montre stralégiste de premier ordre; il évite de heur- ter de front Prusias, il évite même de répondre par des provo- cations aux insinuations doucereuses d'Arsinoé. Un seul mot,

1. Nicomède, I, 4.

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