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Page:Corneille Théâtre Hémon tome4.djvu/453

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SUR SOPIIONISBE 441

Quant à moi, désormais tout m'est iadifférent,

Et quant à mon Etat, ma douleur vous le rend!

Après ui'avoir ôté le désir de la vie,

Vos biens ni vos honneurs ne me font point envie.

Usurpez l'univers de l'un à l'autre bout :

Je n'y demande rien, je vous le cède tout.

Enfin, devant le cadavre de Sophonisbe, il s'élève sans efforts de cette résignation amère à l'indignation éloquente, et Corneille, dans les imprécations de Camille, se souviendra des imprécations de Massinissa mourant :

Cependant eu mourant, ô peuple ambitieux, J'appellerai sur toi la colère des Cieux. Puisses-tu retrouver, soit en paix, soit en guerre, Toute chose contraire et sur mer et sur terre! Que le Tage et le Pô, contre toi rebellés. Te reprennent les biens que tu leur as volés! Que Mars, taisant de Rome une seconde Troie, Donne aux Carthaginois tes richesses en proie, Et que dans peu de temps le dernier des Romains En finisse la race avec ses propres mains!

De ce rapide examen nous avons écarté bien des trivialités ou des fadeurs qui déparent cette œuvre déjà forte, mais inégale. Quand, trente-quatre ans après, en 1663, Corneille reprit le sujet de Sophonisbe, il trouva encore debout l'œuvre de sou rival. 11 est vrai que, depuis trente-quatre ans, Mairet assistait, impuissant, à sa propre décadence. Vingt ans auparavant (1643), il avait donné sa dernière pièce, la 5/rfoHïe, tragi-comédie héroïque, tout à fait in- digne de son talent d'autrefois. Le fougueux détracteur du Cid n'était plus un adversaire bien redoutable, et tel contemporain ' — qui le dit malade du chagrin que lui cause la tentative de Corneille — lui donne généreusement quatre-vingt-quinze ans alors qu'il en a soixante à peine. L'attention publique s'était détournée de lui; mais le souvenir de sa première et dernière victoire tragique était de- meuré dans toutes les mémoires, et Corneille eut le bon goût de rendre à son ancien adversaire un hommage mérité :

i< Depuis trente ans que M. Mairet a fait admirer sa Sophonisbe sur notre théâtre, elle y dure encore, et il ne faut point de marque plus convaincante de son mérite que cette durée, qu'on peut

1 . Donneau de Visé, Nouvelles nouvelles.

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