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SUR ATTILA 509

Et lui rend tout d'un coup la vie et la colère :

Il croit le voir suivi des ombres de six rois,

Qu'il se veut immoler une seconde fois ;

Mais ce retour si prompt de sa plus noire audace

N'est qu'un dernier effort de la nature lasse,

Qui, prête à succomber sous la mort qui l'atteint.

Jette un plus vif éclat, et tout d'un coup s'éteint.

C'est en vain qu'il fulmine à cette affreuse vue;

Sa rage qui renaît en même temps le tue.

L'impétueuse ardeur de ces transports nouveaux

A son sang prisonnier ouvre tous les canaux;

Son élancement perce ou rompt toutes les veines.

Et ces canaux ouverts sont autant de fontaines

Par où l'âme et le sang se pressent de sortir,

Pour terminer sa rage et nous en garantir.

Sa vie à longs ruisseaux se répand sur le sable ;

Chaque instant l'affaiblit, et chaque effort l'accable;

Chaque pas rend justice au sang qu'il a versé,

Et fait grâce à celui qu'il avait menacé.

Ce n'est plus qu'en sanglots qu'il dit ce qu'il croit dire

Il frissonne, il chancelle, il trébuche, il expire;

Et sa fureur dernière, épuisant tant d'horreurs,

Venge enfin l'univers de toutes ses fureurs.

Il fallait montrer jusqu'où le grand Corneille a pu tomber ; mais il est juste de montrer ensuite jusqu'où il a pu s'élever, même dans une pièce où de tels morceaux se rencontrent.

L'histoire ne lui fournissait pas tous les incidents de sa pièce, mais lui en fournissait tous les principaux personnages : Ardaric et Valamir, royaux suivants d'un maître qu'ils craignent et flattent; la belle princesse française ou burgonde Ildione, qu'il fait sœur de Mérovée, on sait pour quel motif, qu'il suppose aimée d'Attila, bien que l'histoire la présente comme une des femmes innombrables, « innumerabiles uxores », qu'il épousa, selon la coutume de l'Orient ; Honorie, sœur de Valentinien III, qui envoya réellement au roi des Huns son anneau, lui donnant ainsi le droit de réclamer la moitié de l'empire d'Occident. Observons seulement qu'en acceptant ces personnages des mains de Jornandès ou de Marcellin, Corneille relève et idéalise des caractères souvent assez vulgaires. Chez lui, les deux rois goths sont animés de sentiments généreux, qui atténuent notre dédain pour leur servilité apparente; Ildione songe à tuer Attila, mais n'a point à se couvrir de son sang ; Honorie n'est plus cette princesse dissolue, trop digne d'épouser Attila, et qui passe une partie de sa vie enfermée dans un couvent de Constantinople.

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