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334 ÉTUDE

de demander aux savants si nous travaillons selon les règles. La règle souveraine est de plaire à Votre Altesse Royale. » Bossuet u"aura qu'à se souvenir de cette dédicace pour dire après le poète : << Elle connaissait si bien la beauté des ouvrages de l'esprit, que l'on croyait avoir atteint à la perfection quand on avait su plaire à Madame. » Celle à qui Molière dédiait son École des femmes, celle qui, si à propos, citait à Despréaux chai'mé ses plus beaux vers, celle dont La Fare a dit que depuis sa mort le goût des choses de l'esprit avait baissé à la cour, méritait tous ces éloges.

Mais la question a deux aspects. Est-ce Madame qui mit aux prises Corneille et Racine? Rien ne paraît plus certain. Est-ce l'analogie de sa propre situation avec celle de Bérénice qui lui fit choisir ce sujet de préféi'ence à tout autre? Rien n'est plus con- testable.

En tout cas, si Madame avait cette intention secrète, il est clair que Corneille n'en fut pas averti : il n'y a aucune ressemblance entre Henriette d'Angleterre et l'altière Bérénice qu'il nous peint, capable de venir du fond de la Judée chercher et reconquérir son amant à Rome, capable aussi, quand sa fierté royale est satisfaite, de renoncer volontairement à l'hymen de l'empereur. Même pour la Bérénice de Racine, nous ne croyons pas que le parallèle puisse se soutenir longtemps. Toutefois, à ce point de vue, il faudrait dis- tinguer entre les deux Bérénices. Même pour Racine, nous le croyons, l'assimilation d'Henriette et de Bérénice, si elle n'est pas chose impossible, reste chose artificielle, amusement de lettrés oisifs. Mais Racine, plus jeune et plus adroit, était mieux fait pour saisir au passage ces allusions fugitives, ces nuances presque in- saisissables, pour glisser çà et là ces mots légers qui veuleut beaucoup dire et auxquels l'on fait dire plus encore qu'ils ne veulent :

Vous êtes Empereur, Seigneur, et vous pleurez...

Vous m'aimez, vous me le soutenez, Et cependant je pars, et vous me l'ordonnez.

On a vu là, et avec raison, la traduction poétique du mot célèbre de Marie Mancini à Louis XIV jeune et passionné. On a fait remar- quer, avec raison encore, que ces souvenirs étaient présents aux esprits les plus graves, et que Bossuet lui-même, du haut de la

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