SUR TlïE ET BÉRÉNICE 338
chaire, osait s'écrier' : « Cessez, princes et potentats, de troubler par vos prétentions le projet de ce mariape. Que l'amour, qui semble aussi le vouloir troubler, cède lui-même. L'amour peut bien re- muer les cœurs des héros du monde; il peut bien y soulever des tempêtes et y exciter des mouvements qui fassent trembler les po- litiques et qui donnent des espérances aux insensés; mais il y a des âmes d'un ordre supérieur à ses lois, à qui il ne peut inspirer des sentiments indignes de leur raug. » C'est bien ainsi que parlent les personnages de Racine, et surtout peut-être ceux de Corneille. Racine aurait-il donc fait allusion aux amours de Marie Mancini et du roi? mais que devient alors l'allusion aux amours de ce même roi et de Madame? Qu'on se rassure ; l'ingénieux Voltaire se charge de tout concilier : « Lorsque Madame fit travailler Racine et Cor- neille à la tragédie de Bérénice, elle avait en vue no)i seulement la rupture du roi avec la connétable Colonne, mais le frein qu'elle- même avait mis à son propre penchant, de peur qu'il ne devint dangereux 2. » On le voit, Henriette pensait à tout et à tous, à elle- même un peu, mais par ricochet; d'abord et surtout à Marie Man- cini, devenue malgré elle la connétable Colonna, comme Louis XIV était devenu malgré lui l'époux de Marie-Thérèse. C'est la situa- tion qu'indique la phrase célèbre de Suétone, rappelée par Racine : « Titus reginam Berenicen, ciii etiam nuptias poUicitus ferebatur,... statim ab Urbe dimisit invitus invita?}}^. » Cette phrase, fondement presque unique de sa tragédie. Racine l'a traduite librement :
Je l'aime, je le fuis ; Titus m'aime, il me quitte.
Mais Corneille, qui ne la cite pas, l'avait traduite plus à la lettre ;
TITE.
L'amour peut-il se faire une si dure loi?
BÉRÉNICE.
La raison me la fait, mahjré vous, malgré tnoi.
C'est d'elle-même aussi, dit-on, que Marie Mancini quitta Louis XIV; mais il n'y eut rien de si héroïque, ce semble, dans ce
1. Oraison funèbre de Marie-Tfiérèse.
2. Siècle de Louis XIV, XXV.
3. Suétone, Vie de Titus, VII.
�� �