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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

maître canonnier de la frégate, qui lui en procura, et il revint un peu de cet état de stupeur. Si les infortunés qu’assaillaient ces premiers symptômes n’avaient pas la force de les combattre, leur mort était certaine. Les uns devenaient furieux ; d’autres se précipitaient à la mer, faisant à leurs camarades leurs derniers adieux avec beaucoup de sang-froid. Quelques-uns disaient : Ne craignez rien ; je pars pour vous chercher du secours y et dans peu vous me reverrez. Au milieu de cette démence générale, on vit des infortunés courir sur leurs compagnons, le sabre à la main, et leur demander une aile de poulet et du pain pour apaiser la faim qui les dévorait ; d’autres demandaient leurs hamacs pour aller, disaient-ils, dans l’entrepont de la frégate prendre quelques instans de repos. Plusieurs se croyaient encore à bord de la Méduse, entourés des mêmes objets qu’ils y voyaient tous les jours ; ceux-là voyaient des navires et les appelaient à leur secours ; ou bien une rade dans le fond de laquelle était une superbe ville. M. Corréard croyait parcourir les belles campagnes de l’Italie. Un des officiers lui dit : Je me rappelle que nous avons été abandonnés par les embarcations ; mais ne craignez rien, je viens d’écrire au gouverneur, et dans peu d’heures nous serons sauvés. M. Corréard lui répondit sur le même ton, et comme s’il eût été dans un état ordinaire : Avez-vous un pigeon pour porter vos ordres avec autant de célérité ? Les cris, le tumulte nous arrachèrent bientôt à cet