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CHAPITRE V.

état comateux dans lequel nous étions comme absorbés ; mais dès que la tranquillité fut un peu rétablie, nous retombâmes encore dans le même anéantissement. Ce fut au point que le lendemain nous crûmes sortir d’un rêve pénible, et que nous demandâmes à nos compagnons si, comme nous, pendant leur sommeil, ils avaient vu des combats et entendu des cris de désespoir : quelques-uns nous répondirent que les mêmes visions les avaient continuellement tourmentés, et qu’ils étaient excédés de fatigue : tous se croyaient livrés aux illusions d’un songe effrayant. Le capitaine Dupont nous a raconté qu’il fut arraché à cet état d’anéantissement profond par un matelot entièrement aliéné qui voulait lui couper le pied aveu un couteau ; la vive douleur qu’il éprouva le rappela à lui-même.

Lorsque nous nous retraçons ces scènes terribles, elles se présentent à notre imagination comme ces rêves funestes qui, quelquefois, nous frappent vivement, et dont, au réveil, nous nous rappelons les différentes circonstances qui ont rendu notre sommeil si agité. Tous ces événemens horribles, auxquels nous avons miraculeusement survécu, nous paraissent comme un point dans notre existence ; nous les comparons encore à ces accès d’une fièvre brûlante qui a été accompagnée de délire. Mille objets se peignent à l’imagination du malade : rendu à la santé il se retrace quelquefois toutes les visions qui l’ont tourmenté pendant la fièvre qui le dévorait et exaltait ses esprits. Nous étions réellement atteints d’une véritable fièvre