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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

avaient péri pendant la nuit : nous estimâmes qu’un quart au moins s’était noyé de désespoir. Nous n’avions perdu que deux des nôtres, et pas un seul officier. L’abattement le plus prochain se peignait sur tous les visages ; chacun, revenu à lui-même, pu sentir toute l’horreur de sa position ; quelques-uns de nous, en versant des larmes de désespoir, déploraient amèrement la rigueur de leur sort. Un nouveau malheur nous fut encore révélé : les rebelles, pendant le tumulte, avaient jeté à la mer deux barriques de vin et les deux seules pièces à eau qu’il y eût sur le radeau[1]. Dès que M. Corréard s’était aperçu

    comme pour ajouter à mon bonheur actuel par l’idée du mal passé, le souvenir de ma bonne sœur fuyant avec moi dans les bois de Kaiserlautern, les Cosaques, qui s’étaient emparés de l’établissement des mines, est présent à mon esprit ; ma tête était penchée au-dessus de la mer ; le bruit des flots qui se brisaient contre notre frêle barque produit sur mes sens l’effet d’un torrent qui se précipite du haut des montagnes ; je crois m’y plonger tout entier. » Dans les canots, cependant, il ne se manifesta point de délire frénétique. Il est vrai que leur position était bien moins critique que la nôtre ; car, outre la certitude de gagner la terre, qu’ils apercevaient, ils avaient encore à leur disposition du biscuit, un peu d’eau douce et du vin. Mais ce que dit M. Brédif n’annonce-t-il pas une véritable fièvre cérébrale, ou calenture ? Concluons donc que si, comme je le pense, cette affection attaqua les victimes du radeau, elle fut sans doute aggravée par d’autres causes ; et la principale n’était-elle pas l’abstinence ?

  1. Une des pièces à eau fut rattrapée, mais les rebelles y