Page:Corréard, Savigny - Naufrage de la frégate La Méduse, 1821.djvu/158

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
156
NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

lire de la joie nous passées à celui de l’abattement et de la douleur ; nous enviions le sort de ceux que nous avions vu périr à nos côtés, et nous disions, entre nous : « Lorsque nous manquerons de tout, et que nos forces commenceront à nous abandonner, nous nous envelopperons de notre mieux ; nous nous coucherons sur ce parquet, témoin des plus cruelles souffrances, et là nous attendrons la mort avec résignation. » Enfin pour calmer notre désespoir nous voulûmes chercher quelques consolations dans les bras du sommeil. La veille nous avions été dévorés par les feux d’un soleil brûlant ;

    Les expressions de ces différentes figures sont énergiques et tout-à-fait conformes à la vérité historique. Découragé et croyant remarquer que la corvette signalée fait une route opposée à celle qu’on espère, le chirurgien Saviguy indique à ses amis qu’ils se flattent en vain ; son camarade, au contraire, par une inspiration qui eut la plus heureuse réalité, essaie de lui persuader que le bâtiment en vue étant à leur recherche, ne saurait manquer de virer de bord et de les rencontrer avant la fin du jour. Pendant cette petite scène, à laquelle trois personnages, rapprochés des deux que j’ai nommés, prennent part, chacun dans un sens bien marqué, les hommes qui agitent leurs signaux poussent des cris de joie, auxquels répond M. Coudin, qui se traîne jusqu’à eux. L’une des victimes, presque mourante, entend cette clameur, qui pénètre jusqu’au fond de son cœur ; elle lève sa tête décolorée et semble exprimer son bonheur par ces mots : Au moins nous ne mourrons pas sur ce funeste radeau. Derrière cet homme, abattu, exténué de maux et de besoin, un Africain n’entend rien de tout ce qui se passe autour de lui ;