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CHAPITRE VII.

ce jour-ci, pour fuir la vivacité de ses rayons, nous fîmes une tente avec le grand cacatois de la frégate.Dès qu’elle fut dressée, nous nous couchâmes tous dessous ; nous ne pouvions ainsi apercevoir ce qui se passait autour de nous. On proposa alors de tracer sur une planche un abrégé de nos aventures, d’écrire tous nos noms au bas de notre récit, et de le fixer à la partie supérieure du mât, dans l’espérance qu’il parviendrait au gouvernement et à nos familles. Après avoir passé deux heures, livrés aux plus cruelles réflexions, le maître canonnier de la frégate voulut aller sur le devant du radeau, et sortit de dessous notre tente. À peine

    il est morne, et sa figure immobile accuse la situation de son âme. Plus loin, dans un état d’anéantissement et de douleur, un vieillard, tenant couché sur ses genoux le cadavre de son fils expiré, se refuse à toutes les impressions de la joie que peut faire éprouver la nouvelle de sa délivrance. Que lui importe la vie qu’il va recouvrer ? Ce jeune homme, qui faisait son espoir et sa consolation ; cet ami qui avait partagé tant de maux, vient de succomber ; il est condamné à lui survivre quelques jours, quelques heures seulement ; car les souffrances inouïes qu’il a éprouvées sont de sinistres précurseurs du trépas ; mais ce peu d’instans lui doit être à charge ; l’Océan va engloutir l’objet de toutes ses affections et de tous ses regrets. Cet épisode est des plus touchans ; il fait honneur à l’imagination de M. Géricault ; enfin çà et là, sur le premier et le second plan, des corps morts ou des malheureux prêts à rendre le dernier soupir. Telle est assez fidèlement la marche de cette vaste composition, à laquelle la variété des posés et la vérité dés mouvements donnent un grand caractère.