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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

habit et un des deux pantalons que j’avais mis sur moi. Un noir voulut bien me vendre pour 8 fr. une vieille paire de souliers : car il m’en fallait une pour marcher.

« Les matelots avaient sauvé le baril d’eau. Aussitôt que nous fûmes à terre, ils se battirent entr’eux pour boire. Je me précipite au milieu de la mêlée, et me fais jour jusqu’à celui qui tenait le baril au-dessus de sa bouche ; je le lui arrache, et je trouvai le temps, en y appliquant la mienne, d’avaler deux gorgées. Le baril me fut ensuite enlevé ; mais ces deux gorgées me valurent deux bouteilles : sans elles, je ne pouvais plus vivre que quelques heures.

« Ainsi je me trouvai sur la côte d’Afrique, presque mouillé jusqu’aux os, n’ayant dans mes poches que quelques galettes de biscuit trempées d’eau salée, pour la nourriture de plusieurs jours, sans eau au milieu d’un désert de sables brûlans où errent des hommes cruels ; c’était quitter un danger pour un autre plus grand.

« Nous résolûmes de suivre toujours le bord de la mer, la brise nous rafraîchissant un peu ; de plus, le sable mouillé était plus doux que le sable fin et mouvant dans l’intérieur. Avant de commencer notre route, nous attendîmes l’équipage du canot qui avait fait côte avant nous.

« Nous marchions depuis une demi-heure, lorsque nous vîmes un autre canot qui s’avançait à pleines voiles ; il vint échouer. Il renfermait toute la famille Picard, composée de Monsieur, de Madame, de trois