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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

offrait un écu de six livres. Malheureusement nous n’avions pas de monnaie, et je bus plus d’un verre de lait au prix de six francs par verre.

« Nous achetâmes plus cher que nous n’eussions acheté de l’or, deux chevreaux qu’on fît bouillir tour à tour dans une petite marmite de fonte qui appartenait aux Mauresses. Nous retirâmes les morceaux à moitié cuits, pour les dévorer comme de véritables sauvages. Les matelots, ces hommes détestables[1], pour qui nous avions acheté ces chevreaux, laissent à peine la part de leurs officiers, pillent ce qu’ils peuvent et se plaignent encore d’en avoir trop peu. Je ne pus m’empêcher de leur parler comme ils le méritaient. Aussi m’en voulaient-ils, et ils me menacèrent plus d’une fois.

À quatre heures du soir, après avoir passé la grande chaleur du jour sous les tentes dégoûtantes des Mauresses, étendus à côté d’elles, nous entendons crier : aux armes, aux armes ! Je n’en avais point : je m’armai d’un grand couteau que j’avais conservé et qui valait bien une épée. Nous avançons vers des Maures et des Noirs qui avaient déjà désarmé plusieurs des nôtres qu’ils avaient trouvés se reposant sur le bord de la mer. On était sur le point de s’égorger, lorsque nous comprimes que ces hommes venaient s’offrir à nous pour nous conduire au Sénégal.

  1. M. Brédif se trompe ; tous les matelots ne sont point des hommes détestables. Nous pourrions en citer un grand nombre de très-généreux et de très-braves.