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CHAPITRE XI.

auxquels on avait juré de les envoyer chercher dès qu’on serait arrivé à Saint-Louis ; mais déjà ou ne pensait presque plus à ces infortunés. M. Corréard rapporte que le premier jour qu’il fit une promenade dans la ville, étant allé rendre une visite à la famille du gouverneur, pendant la conversation on vint à parler de la goélette qu’on allait expédier, et de la possibilité de retrouver les 100,000 fr., des vivres et des effets. Voyant qu’on ne disait rien des dix-sept infortunés qui étaient restés sur la frégate, il ne put s’empêcher de dire : « Mais un objet plus précieux dont on ne parle pas, ce sont les dix-sept malheureux qui ont été abandonnés !
— Bah ! répondit Mlle Chmaltz, dix-sept ! il n’en reste pas trois. — N’en restât-il que trois, répliqua-t-il, qu’un seul, sa vie est préférable à tout ce qu’on peut retirer de la frégate. » Et il sortit indigné.

Lorsque, dans la première partie de cet ouvrage, nous avons présenté Mme et Mlle Chmaltz seules impassibles lors de l’échouement de la frégate, et semblant s’élever au-dessus de la consternation générale, on a pu leur faire honneur d’une grandeur d’âme peu

    sottise, l’orgueil, l’entêtement, qui nous ont conduits sur le banc d’Arguin, n’ont pas besoin qu’on leur prête d’autre crime. D’ailleurs, s’il est quelquefois des gens qui vendent leur honneur, il n’en est point qui vendent en même-temps leur vie, et ceux qu’on voudrait accuser de quelque chose de plus que d’une haute incapacité, ont assez prouvé, dans les dangers qui leur étaient personnels, qu’ils savaient très-bien pourvoir à leur propre sûreté.