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CHAPITRE XI.

à Paris une lettre justificative de ses rapports avec les naufragés du radeau, et en cherchant à dévouer ces malheureux au mépris, à la haine publique. Elle avouait dans cette lettre singulière qui a circulé dans les sociétés de Paris, que la vue de ces naufragés lui inspirait une horreur dont elle n’était pas maîtresse. « Il m’était, disait-elle, réellement impossible de supporter la présence de ces hommes, sans que j’éprouvasse un moment d’indignation ».

Quel était donc notre crime aux yeux de Mlle Chmaltz ! Ah ! sans doute celui de trop bien connaître les véritables coupables de nos malheurs. Oui, à ce titre, toutes les fois que Mlle Chmaltz nous voyait, ce qui était excessivement rare, notre présence devait faire sur elle l’effet de la foudre. Elle pouvait se dire : Voilà les hommes qui tiennent dans leurs mains le sort de mon père. S’ils parlent, s’ils font entendre des plaintes qu’ils retiennent jusqu’ici, si on les écoute (et comment ne les écouterait-on pas dans un pays où la loi seule doit régner ?), au lieu d’être la fille d’un gouverneur, je ne suis plus qu’une misérable orpheline ; au lieu de ces honneurs dont il m’est si doux de me voir entourée, je retombe dans l’abaissement et l’oubli qui attend d’ordinaire la triste famille d’un grand coupable.

Il est certain que si nous avions écouté nos douleurs, si nous avions poursuivi devant le tribunal des lois les auteurs de nos maux, il est difficile de croire qu’ils eussent échappé aux rigueurs de l’inflexible jus-