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CHAPITRE XV.

que les colons devront naturellement se proposer.

En proclamant l’abolition de l’esclavage, il convient cependant de ne conduire les esclaves actuels à la liberté que d’une manière progressive. Les blancs, possesseurs de noirs, ne pourraient prolonger leur possession et leur empire au-delà de dix ans, et sans que, pendant ce temps, il leur fût permis de les revendre. Pendant ces dix ans, les noirs seraient préparés à leur nouvel état, tant par l’instruction que par l’amélioration successive de leur sort ; il faudrait, en quelque sorte relâcher de degré en degré la chaîne de l’esclavage ; il faudrait, en leur donnant les moyens de former un pécule du produit de leurs travaux, leur donner le goût et le besoin de la propriété.

Après ces dix ans, qu’on pourrait appeler de noviciat, il est présumable qu’en leur concédant des terres à des conditions avantageuses et déterminées d’avance, en leur fournissant, s’il était nécessaire, des instrumens aratoires dont ils auraient appris à se servir, on en ferait d’excellens agriculteurs : il est inutile de remarquer que l’homme qui cultive le sol et dont le sol récompense les travaux par des produits suffisans, s’attache fortement à la terre qui fournit à ses besoins et à ses jouissances, et est bientôt conduit par les affections de famille à l’amour de l’ordre social et aux sentimens qui font le bon citoyen.

Il y a trop long-temps qu’on provoque les noirs à la vente de leurs semblables, pour qu’on doive compter qu’ils oublieront tout à coup ce déplorable trafic.