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NAUFRAGE DE LA MÉDUSE.

Assurément, Messieurs, si vous pesez ces considérations graves, vous ne pourez vous dispenser de voir

    n’a droit de faire ce que la liberté d’un autre lui interdit, et la vraie liberté sans la justice est une véritable contradiction ; car, comme qu’on si prenne, tout gêne dans l’exécution d’une volonté désordonnée.
    « Il n’y a donc point de liberté sans lois, ni où quelqu’un est au-dessus des lois : dans l’état même de nature, l’homme n’est libre qu’à la faveur de la loi naturelle, qui commande à tous. Un peuple libre obéit, mais il ne sert pas ; il a des chefs et non pas des maîtres ; il obéit aux lois, mais il n’obéit qu’aux lois, et c’est par la force des lois qu’il n’obéit qu’aux hommes. Toutes les barrières qu’on donne dans les républiques du pouvoir des magistrats, ne sont établies que pour garantir de leurs atteintes l’enceinte sacrée des lois : ils en sont les ministres, non les arbitres ; ils doivent les garder, non les enfreindre. Un peuple est libre, quelque forme qu’ait son gouvernement, quand, dans celui qui le gouverne, il ne voit point l’homme, mais l’organe de la loi : en un mot, la liberté suit toujours le sort des lois ; elle règne ou périt avec elles ; je ne sache rien de plus certain.
    « Mais si au contraire les ministres des lois en deviennent les seuls arbitres, et qu’ils puissent les faire parler ou taire à leur gré ; si le droit de représentation, seul garant des lois et de la liberté, n’est qu’un droit illusoire et vain, qui n’ait en aucun cas, aucun effet nécessaire, je ne vois point de servitude pareille à la vôtre ; et l’image de la liberté n’est plus chez vous qu’un leurre méprisant et puéril, qu’il est même indécent d’offrir à des hommes sensés. Que sert alors d’assembler les législateurs, puisque la volonté du conseil est l’unique loi ? Que sert d’élire solennellement des magistrats qui d’avance étaient déjà juges, et qui ne tiennent de cette élec-