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PROCÈS

On peut même aller plus loin, et soutenir qu’on ferait en quelque sorte un devoir de la désobéissance à des lois qui détruiraient le pacte constitutionnel, si l’on pouvait persuader aux citoyens que les chambres et le Roi se seraient en effet entendus pour déchirer ce pacte[1].

  1. Ceci me rappelle une belle page de Rousseau. Je la vais transcrire.
    « On a beau vouloir confondre l’indépendance et la liberté, ces deux choses sont si différentes, que même elles s’excluent mutuellement. Quand chacun fait ce qu’il lui plaît, on fait souvent ce qui déplaît à d’autres, et cela ne s’appelle pas un état libre. La liberté consiste moins à faire sa volonté qu’à n’être pas soumise à celle d’autrui ; elle consiste encore à ne pas soumettre la volonté d’autrui à la nôtre. Quiconque est maître ne peut être libre ; et régner, c’est obéir. Vos magistrats savent cela mieux que personne, eux qui, comme Othon, n’omettent rien de servile pour commander (*). Je ne connais de volonté vraiment libre que celle à laquelle nul n’a droit d’opposer de la résistance ; dans la liberté commune, nul
    (*) En général, dit l’auteur des Lettres en réponse à celles de J. J. Rousseau, les hommes craignent encore plus d’obéir qu’ils n’aiment à commander. Tacite en jugeait autrement, et connaissait le cœur humain. Si la maxime était vraie, les valets des grands seraient moins insolents avec les bourgeois, et l’on verrait moins de fainéans ramper dans les cours des princes. Il y a peu d’hommes d’un cœur assez sain pour savoir aimer la liberté. Tous veulent commander : à ce prix, nul ne craint d’obéir. Un petit parvenu se donne cent maîtres pour acquérir dix valets. Il n’y a qu’à voir le parti des nobles dans les monarchies, avec quelle emphase ils prononcent les mots de service et de servir ; combien ils s’estiment grands et respectables quand ils peuvent avoir l’honneur de dire : le Roi mon maître ; combien ils méprisent des républicains qui ne sont que libres, et qui certainement sont plus nobles qu’eux.