Page:Correspondance intime de l'amiral de La Roncière Le Noury avec sa femme et sa fille, 1855-1871. T. 1,.djvu/132

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correspondance la roncière

public ; c’était très curieux de voir tout ce monde venir nous, voir manger. Le public est d’ailleurs admis partout où est le Roi, et comme il a une excellente tenue et n’a pas les allures bruyantes et sans gêne du public français, il n’y a pas d’inconvénient à l’admettre partout où il veut entrer. Nous allons prendre le café dans une vaste salle où sont les portraits en pied de tous les souverains contemporains de Gustave III au moment de son avènement au trône, en 1772. On y fume effroyablement, ce qui m’oblige à fumer aussi. J’ai une très longue conversation avec le Roi, ou plutôt il me parle pendant très longtemps, car il ne laisse pas à son interlocuteur le temps de placer une parole ; il parle toujours.

À 10 heures, on va se coucher. Je suis logé au rez-de-chaussée d’une des tours du château ; ma chambre occupe toute la tour, elle est immense ; les murs ont 16 pieds d’épaisseur, je les ai mesurés. Elle est tendue de vieilles tapisseries, presque entièrement recouverte de grands portraits en pied des anciens souverains ou guerriers de la Suède. Il semble, si on les regarde longtemps, qu’ils vont faire quelques mouvements. Derrière un de ces portraits est un escalier dérobé qui monte au haut de la tour et descend dans une cave qui n’a pas d’autre issue. Un autre portrait cache une petite porte qui donne sur un long corridor très bas, qui donne je ne sais où. Si j’étais homme à avoir peur, cette chambre était assez effrayante ; d’autant plus qu’on raconte beaucoup de légendes sur le château de Gripsholm, où se sont passées quelques lugubres scènes de l’histoire de Suède. Chacun des châteaux de Suède a d’ailleurs son revenant ; à Gripsholm, c’est une dame blanche. Je l’attendais de pied ferme, d’abord en écrivant des affaires de service, puis, dans mon lit en lisant une description de Stockholm. Je ne l’ai pas vue ;