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vices, était un grand homme, et son fils, avec ses vertus, est un homme au-dessous du médiocre : ce qui a fait dire à un prélat bel esprit que les vertus du fils nous font regretter les vices du père.


X

On doit savoir gré à un auteur qui consacre ses talents à nous donner des leçons pour perfectionner les arts utiles, lors même que ses réflexions, solides d’ailleurs, manqueraient des agréments nécessaires pour les faire mieux goûter. Il n’en est pas de même d’un auteur qui, traitant d’un art seulement aimable et moins fait pour notre utilité que pour servir nos plaisirs, nous ennuierait par des réflexions languissantes, par des digressions inutiles, par un style diffus et insipide. L’indulgence est pour l’un et le mépris pour l’autre. Chaque matière a son genre particulier qui doit guider celui qui entreprend de l’approfondir. Si tous ceux qui se mêlent d’écrire consultaient sincèrement leurs forces, nous ne verrions pas un déluge si considérable de mauvais livres. Il me semble qu’on doit faire choix, avant que d’écrire, d’une matière comme d’une maîtresse : qu’on me pardonne la comparaison. L’une commande a notre esprit et l’autre à notre cœur. Celle-ci veut qu’on soit tout entier à elle, celle-là n’en exige pas moins. Un auteur jaloux de sa réputation ne néglige rien pour plaire au public ; que ne fait-on pas pour plaire à sa maîtresse ! Il n’y a point de matière si difficile à traiter dont le génie ne vienne à bout ; c’est une maîtresse trop fière qu’on force enfin à se rendre. Il est d’imbéciles écrivains qui entreprennent un sujet parce qu’ailleurs il a paru riant, semblables en cela à ces sots petits-maîtres qui s’attachent au char d’une femme seulement parce qu’elle les a regardés une fois avec un sourire dont ils n’ont pas compris la malice.

M. Rémond de Sainte-Albine n’a pas à craindre de pareils reproches au sujet du Comédien[1] qu’il vient de donner au pu-

  1. Le Comédien, ouvrage divisé en deux parties. Paris, 1747, in-8. Nouvelle édition, 1748, in-8. Réimprimé en 1825, à la suite des Mémoires de Molé.