Aller au contenu

Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 1.djvu/454

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
436
NOUVELLES LITTÉRAIRES

cinq ans. Elle n’est pas mal faite, mais elle est laide et maigre. Sa voix est faible et monotone. Elle a assez de finesse dans le jeu, mais point dans la physionomie, et son maintien est plus noble que gracieux. Les entrailles et le feu, qui sont les deux parties les plus essentielles d’un bon comédien, lui manquent totalement. Les connaisseurs sont contre elle, mais elle a quelques amis ardents qui lui font un assez grand nombre de partisans parmi les gens qui n’ont point d’avis à eux. La protection déclarée que le duc d’Aumont lui accorde ne permet presque pas de douter qu’elle ne soit reçue.

M. de Voltaire a fait dresser un théâtre chez lui, et il y fait jouer la comédie. L’ouverture s’en fit samedi dernier par une représentation de Mahomet. Les acteurs qui ont joué dans cette pièce se sont essayés quelque temps avec succès à l’hôtel de Tonnerre. On n’imagine pas aisément que des gens ramassés comme au hasard, et qui n’ont reçu aucun genre d’éducation, puissent plaire jusqu’à un certain point ; ils l’ont pourtant fait. Le principal acteur, nommé Le Kain, a montré un talent distingué. S’il avait une voix un peu plus favorable, il pourrait devenir très-bon. L’assemblée, qui était composée de ce qu’il y a de plus distingué à Paris pour l’esprit dans tous les états, fut enchantée.

Lundi, on changea de pièce et d’acteurs. Ce ne fut plus Mahomet, c’est Zulime qu’on joua. Cette tragédie, représentée avec peu de succès au Théâtre-Français en 1740, a été refaite. Elle n’est plus ni froide, ni faiblement écrite, comme on prétend qu’elle l’était originairement ; mais je trouve encore quelque embarras dans le sujet. Les nièces de M. de Voltaire et leurs amies jouèrent ce jour-là. Entre les hommes, c’est le marquis de Thibouville qui a le mieux réussi, et Mme Denis entre les femmes[1].

  1. Voir sur ces représentations intimes le t. III, p. 372 et suivantes, de Voltaire de M. G. Desnoiresterres.