Aller au contenu

Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 15.djvu/149

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fourni ce ton mi-parti de gens du monde et de gens de lettres qu’affectent tant de philosophes, d’économistes, de moralistes et de littérateurs, qui, se méprisant mutuellement, ne se réunissent que dans ce seul point, de préférer au titre d’auteurs dont s’honoraient les Pascal, les Fénelon, les Corneille, les Racine, celui de gens de lettres, mot de ralliement à l’aide duquel ils prétendent s’assigner un rang, un état dans la société ? Combien l’influence qu’ils essaient de toutes leurs forces de se donner dans le monde, qui les accueille souvent par air ou par désœuvrement, et qui le plus souvent ne cherche qu’à s’en amuser, n’eût-elle pas prêté de force comique à l’intrigue des Femmes savantes ! Nos gens de lettres étant bien plus répandus dans la société que du temps de Molière, leurs travers, leurs ridicules, par cela même mieux connus, seraient devenus pour ce grand maître un fond de comique inépuisable. Combien ce ton modestement tranchant avec lequel ils jugent et prononcent sur les objets même qui leur sont les plus étrangers, dominent ou se flattent de dominer les opinions ; combien l’art avec lequel, après s’être fait souvent, on ne sait pourquoi ni comment, une sorte de réputation, ils s’empressent de faire partager cette considération usurpée à ceux que leur rang ou leur fortune met à même de leur devenir utiles ; combien leurs intrigues, devenues bien plus profondes, parce que le but en est tout autrement important, tout autrement profitable que ne l’était le simple amour de la célébrité ; combien tout ce mélange enfin d’audace, de bassesse, d’importance et de ridicule n’eût-il pas fourni au génie de Molière ! Quelles moissons n’eût-il pas encore trouvé à faire dans ces cercles de femmes de lettres, sorte d’état qu’elles embrassent actuellement au même âge et par les mêmes motifs qu’elles prenaient autrefois celui de dévotes ! Ce serait dans le sein même de ces sociétés si multipliées de nos jours que l’on pourrait puiser le fond et l’intrigue de la plus excellente comédie. Combien serait véritablement comique le tableau des haines cachées et actives, des petits manèges, des grandes prétentions, des mœurs, du ton enfin des principaux personnages qui représentent dans ces différentes sociétés ! Que de scènes dont le simple récit égaie si souvent ce que ces messieurs et ces dames appellent les sots aux dépens des gens d’esprit ! Molière n’eut pas des matériaux aussi précieux, et il fit un chef-d’œuvre que l’on relit et que