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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 15.djvu/377

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monde entier ?… La philosophie, qui rapproche les humains, dégrade donc les humains ? La religion, qui leur ordonne de fraterniser, ordonne donc qu’ils se dégradent ? Et vous-même, prince religieux et philosophe, quand vous prononciez l’éloge du tiers état, vous prononciez donc la dégradation des deux premiers ordres ? Votre ombre généreuse et sensible s’indigne et s’afflige d’une pareille expression… Elle s’indigne et s’afflige de voir qu’au moment du danger public, au moment de réunir tous les secours, au moment d’accueillir toutes les lumières, ceux qui en ont les obscurcissent, sèment les terreurs au lieu de clartés, portent les divisions au lieu de secours, accélèrent le danger au lieu de le suspendre, menacent d’une scission formidable les esprits qu’ils pouvaient calmer… Ombre auguste et tutélaire, c’est à vous seule qu’il appartiendrait de dire au monarque héritier de vos sentiments : « Vous avez promis de faire le bonheur de vingt-six millions d’hommes, et cinq à six cent mille exigent de vous le sacrifice ce tous les autres ! c’est comme s’ils vous demandaient d’abdiquer votre empire, car les nobles composent votre empire et le tiers état votre puissance, etc. »

— Il y a eu près de mille pétitions des différentes municipalités et corporations du royaume, pour obtenir du roi une représentation plus égale à la prochaine assemblée des états généraux qu’à ceux de 1614. Celle des habitants de Paris a été rédigée par un docteur en médecine, M. Guillotin ; on en avait envoyé un exemplaire à tous les notaires de Paris, avec une lettre qui les invitait à recevoir la signature de tous les bourgeois qui jugeraient à propos de la déposer entre leurs mains. Le Parlement, ayant désapprouvé la forme de cette réclamation, a mandé les syndics des notaires et le docteur Guillotin, pour rendre compte à la cour de leur conduite ; elle était si simple qu’ils n’ont pas eu beaucoup de peine à la justifier. La cour a cependant ordonné que lesdites pétitions fussent apportées au greffe, et défendu de répandre à l’avenir de semblables lettres et avertissements. « Le Parlement est bien mal, disaient ce jour-là nos faiseurs de calembours. — Comment ? — On doit le présumer, puisqu’il vient de faire appeler le notaire et le médecin. »

Un gentilhomme des états du Dauphiné disait, pour soutenir la primatie de sa noblesse : « Songez à tout le sang que la noblesse a versé dans les batailles. » Un homme du tiers état lui