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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 15.djvu/380

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oublier peut-être que Métastase travaillait pour un théâtre où les doubles intrigues sont commandées par l’usage, la volonté des musiciens et la durée d’un spectacle, qu’il serait difficile de remplir par les seuls moyens d’une action simple et une, et qu’un double intérêt sert par la variété qu’il offre à la musique, plaisir que cherchent trop uniquement les Italiens dans leurs opéras. En France, il sera toujours très-difficile de présenter sur nos théâtres lyriques des actions complexes, parce que la durée de nos spectacles ne permet pas les développements que demandent deux intrigues pour être claires et pour intéresser. L’auteur de l’opéra d’Andromaque ne l’a fait peut-être avec quelque apparence de succès qu’en sacrifiant presque entièrement l’amour bien plus intéressant d’Oreste pour Hermione que celui de Néade pour Ircile à l’amour maternel d’Andromaque pour son fils. La présence de cet enfant, introduit sur la scène dès le second acte, produisait l’intérêt le plus attendrissant, parce qu’il avait été préparé à l’aide des développements de la tragédie de l’immortel Racine, et l’amour d’Oreste pour Hermione n’affaiblissait pas ce sentiment si attachant parce que l’auteur n’en avait conservé que ce qui était nécessaire pour lier l’intrigue et accroître l’intérêt de son action. C’est le seul outrage fait au grand modèle qu’il traduisait sur la scène de l’Opéra qu’on a dû lui pardonner en faveur des larmes que les deux situations dans lesquelles il présentait Astyanax ont fait répandre aux spectateurs.

Quant à la musique de Démophon, elle n’a pas rempli tout ce qu’on attendait du talent très-avantageusement annoncé de M. Chérubini. Ses chants, quoique purs, et sous ce rapport dignes de l’école du célèbre Sarti, où ce jeune compositeur a été élevé, n’ont pas paru toujours assez neufs ; on a trouvé que l’expression de ses airs manquait quelquefois de tendresse et de vérité ; que dans son récitatif, partie si importante d’un opéra français, il avait mal saisi le caractère des paroles, ou s’exprimait d’une manière trop vague. Ces défauts, qui tiennent peut-être à l’ignorance d’une langue avec laquelle M. Chérubini n’est pas encore assez familiarisé, n’empêchent pas que l’on ne doive rendre justice à la manière aussi correcte qu’élégante de ce jeune compositeur, à la beauté et à l’harmonie savante de ses chœurs, à la grâce variée et piquante de ses airs de danse, à la richesse de son orchestre, et surtout au sentiment d’une mélodie