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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 15.djvu/381

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douce et gracieuse. Peut-être, à la place de ces éloges mérités, vaudrait-il mieux avoir à lui reprocher les écarts qui siéraient à son âge : cette chaleur d’une imagination qui, surabondante dans ses moyens, se livre à l’originalité de ses pensées, sans en apprécier trop la justesse, les développe par la variété des formes qu’elle invente, et qui, sentant vivement, exprime même avec une énergie outrée les sentiments qu’on lui offre à peindre. Mais l’opéra de Démophon ne prête à aucune critique de ce genre.

— Pour décider quel est le plus bel ouvrage de M. Necker, celui du moins où il a déployé avec plus d’étendue et de profondeur les talents, le caractère et le génie d’un homme d’État, d’un grand ministre, on croit qu’il faudrait choisir entre son Mémoire sur l’établissement des administrations provinciales et le Rapport qu’il fit au Conseil, le 27 décembre dernier, époque à jamais mémorable et pour le bonheur de la nation et pour la gloire du monarque. Ce dernier ouvrage était sans contredit le plus difficile à faire ; environné de toutes parts d’abîmes et d’écueils, il marche au but qu’il fallait atteindre d’un pas ferme et sûr avec toute la confiance que peut inspirer une raison supérieure jointe à l’intégrité la plus pure. La noble franchise de son intention y paraît toujours d’accord avec l’adresse de ses moyens, et c’est la puissance même des obstacles qu’on avait cherché à élever contre elle qu’il fait servir habilement à l’appui de sa cause. Le calme inaltérable, la profonde sagesse de cette auguste délibération rappellent également ces balances d’or dans lesquelles Homère fait peser à Jupiter la destinée des empires.

Ce Rapport est trop court, et l’objet en est trop important pour qu’il n’ait pas été déjà lu de l’Europe entière ; il serait donc inutile d’entreprendre encore d’en faire l’analyse, mais on nous pardonnera du moins de ne pouvoir résister au plaisir de citer ici le morceau où ce ministre citoyen prouve d’une manière si juste et si touchante que l’acte par lequel le roi veut rendre à la nation tous les droits qui lui appartiennent sera en effet le plus bel usage de sa puissance, le seul qui ne soit pas susceptible de partage, puisqu’il ne peut émaner que de son propre cœur et de sa propre vertu.

« Les déterminations que Votre Majesté a prises lui laisseront toutes les grandes fonctions du pouvoir suprême, car les assemblées nationales sans un guide, sans un protecteur de la