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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 15.djvu/383

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mémorable mission fut le fol espoir qu’il pourrait engager le nouveau roi à jouer une partie de son trésor dans les fonds de la France, ce qui sans doute eût été une fort bonne ressource, et dont le succès aurait bien pu retarder encore quelque temps la convocation de l’assemblée des notables. On ne sait s’il faut s’étonner davantage ou de l’extravagance d’une pareille idée, ou du moyen tenté pour la faire réussir ; mais ce qui passe toute idée, c’est qu’il se trouve un homme d’esprit et de talent qui, à la bassesse que suppose une pareille commission, joigne l’impudence de la publier hautement, ne craigne ni de violer le secret qui lui a été confié, ni les droits les plus saints de l’hospitalité, ni les égards que l’on doit le plus rigoureusement à l’amitié et aux bienfaits. Nous n’essayerons pas même d’exprimer à quel degré l’auteur a porté l’insolence de ses jugements sur les premières personnes de l’Europe, ni l’impudence des anecdotes qu’il rapporte ou qu’il invente pour les justifier. Nous remarquerons seulement qu’en déchirant sans retenue et sans pudeur les princes même dont il avoue avoir reçu les marques de bonté les plus distinguées, la perspicacité de sa politique s’est trompée lourdement dans ses plus importantes prédictions, et surtout relativement aux affaires de la Hollande. À travers les horreurs et les infamies qui remplissent ces deux volumes, on pourrait recueillir quelques aperçus, quelques traits assez piquants ; mais comment s’arrêter plus longtemps à la lecture d’un ouvrage de ce genre ?

— L’ouvrage dont nous allons avoir l’honneur de vous rendre compte, quoique imprimé, n’est pas encore public, et n’est même pas destiné à l’être : ce sont les Lettres de Mme la baronne de Staël, ambassadrice de Suède, sur les ouvrages et le caractère de J.-J. Rousseau, un petit volume in-12 de 140 pages. Elle n’en a fait tirer qu’une vingtaine d’exemplaires qui n’ont été confiés qu’à l’amitié et avec des réserves infinies. Nous ne croirons point trahir son secret en tâchant de vous faire connaître autant qu’il nous sera possible les détails les plus intéressants d’une production qui nous aurait toujours paru d’un grand prix, quel qu’en fût l’auteur, mais qu’il est impossible de ne pas admirer encore davantage lorsqu’on sait qu’elle est échappée aux distractions d’une jeune personne de vingt ans, entourée de toutes les illusions de son âge, de tous les plaisirs que peut ras-