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Page:Correspondance littéraire, philosophique et critique, éd. Garnier, tome 15.djvu/441

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actes mêlé d’ariettes, de MM. Sedaine et Grétry. Le conte de Perrault qui en a fourni le sujet est assez connu.

Cet ouvrage était annoncé depuis longtemps, et la réputation de l’auteur semblait devoir en garantir le succès ; mais il n’a pas été aussi complet que M. Sedaine pouvait l’espérer. On a bien reconnu ce drame dans la touche originale de son talent, cet art qu’il possède si bien de trouver des effets de théâtre absolument nouveaux dans les conceptions les plus simples comme dans les plus hardies ; mais celle-ci a paru en général plus bizarre qu’intéressante ; il était en effet presque impossible que la manière dont M. Sedaine a conçu et présenté le caractère d’Isaure pût intéresser sur la scène. Au tort d’une curiosité si indiscrète, et qui dans le conte est la seule cause de ses malheurs, fallait-il donc ajouter celui d’une coquetterie capable de lui faire préférer à l’amant le plus tendre, à celui à qui elle vient de jurer une fidélité à toute épreuve, des plumes et des diamants ? Comment s’attendrir sur son sort lorsqu’on n’a pu se défendre de souhaiter qu’une inconstance si basse par son motif fût justement punie, mais d’une manière sans doute moins cruelle que celle qu’emploie Barbe-Bleue pour corriger la curiosité de ses femmes ? Non-seulement l’inconstance d’Isaure repousse l’intérêt que devrait inspirer cette jeune personne, elle rend presque ridicule l’amour que lui conserve Vergy et tout ce qu’il lui fait entreprendre pour une femme qui trahit, pour ainsi dire au même instant, et l’amant qu’elle adorait et l’époux riche qu’elle lui a préféré. Nous avons observé qu’il paraissait peu vraisemblable que Raoul ignorât qu’Anne, cette sœur chérie de sa femme, fût morte ; mais ce qui a paru plus inconcevable encore, c’est que Vergy, en s’introduisant sous un habit de femme dans le château de Raoul, n’ait pas eu la précaution si naturelle de se munir à tout événement d’une dague ou d’un poignard qu’il était si facile de cacher sous ses habits de femme ; c’est une négligence qu’on est surtout étonné d’avoir à reprocher à M. Sedaine, car on sait que personne n’a porté plus loin que lui l’attention à ne pas s’écarter de la vérité, jusque dans les détails les plus minutieux. Le soin qu’il a eu de motiver les épreuves cruelles auxquelles Raoul a condamné ses femmes par les prédictions qu’on lui avait faites empêche que cette cruauté ne soit aussi ridiculement atroce que dans le conte. Il faut louer aussi la manière dont l’auteur a préparé le déguise-